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Et soudain des nuits d’éveil

1997

Création collective en harmonie avec Hélène Cixous, mise en scène d'Ariane Mnouchkine, musique de Jean-Jacques Lemêtre, décor de Guy-Claude François, peintures de Danièle Heusslein-Gire, costumes de Nathalie Thomas et Marie-Hélène Bouvet.

Création le 26 décembre 1997 à la Cartoucherie.
55 000 spectateurs.

© Michèle Laurent
© Michèle Laurent
© Michèle Laurent
© Michèle Laurent
© Michèle Laurent
© Michèle Laurent
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Tournée

Ariane Mnouchkine, "à voix nue"

"On n'est pas détruit par l’exigence, on est détruit par le laisser-faire, on est détruit par le mépris, on est détruit par la non-confiance, mais l’exigence, elle, est synonyme de confiance, et donc on n'est pas détruit par ça. On est peut-être révélé par ça, c'est-à-dire ce qui se révèle c'est soit un acteur ou une actrice soit quelqu'un qui ne l'est pas tout à fait et à ce moment là ce serait le détruire ou la détruire que de lui faire croire qu'il est un acteur. Ce qui tue un acteur c'est le pas assez, ce n'est pas le trop de demande, c'est le pas assez de demande."

 

Ariane Mnouchkine, "à voix nue" (5/5) le 05/06/1998

Un moment de conversion

Du dehors, du monde extérieur, de la scène du monde, le " World Stage " dont nous parlait Shakespeare, voilà qu'arrive dedans un Théâtre une parcelle d'un peuple errant, fouetté par le violent ouragan chinois. La tribu entre vite se mettre à l'abri.

Voilà que ce Théâtre, celui-ci, (ou bien un autre), ne fait plus de théâtre, on n'y pense même plus. Il y a urgence : la menace de mort, d'exil, d'anéantissement qui accompagne le peuple tibétain, est venue camper chez nous. L'imminence nous mobilise. Soudain nous avons sous les yeux la peine de tout un peuple qui jusqu'à hier se tenait à des milliers de kilomètres de notre attention. Aussitôt tous les rôles font une révolution sur eux-mêmes : le théâtre n'est plus le lieu des représentations. Le voilà qui devient la maison du présent. Et quel présent ! Un présent tendu, fragile, menacé d'une interruption mortelle.

On sent le temps. Les jours sont accordés un à un, comme à des condamnés. C'est que le peuple des hébergés tibétains a osé faire un redoutable pari - sur la compréhension ou l'esprit de justice.

Depuis leur arche provisoire ils lancent aux Etats du monde indifférent un appel insistant à la reconnaissance : " avouez enfin, une fois pour toutes, que le Tibet existe ".

La grande oreille politique fait la sourde, bien entendu.

Chaque partie du tout campe, tenace, sur ses positions. La guerre est d'usure. Ça peut durer longtemps. Mais ça ne peut pas durer éternellement. La fin approche.

Cependant, dedans, sous la charpente accueillante on vit. C'est cette vie, rapidement improvisée, que nous racontons. Elle n'est ni plus ni moins extraordinaire que ces survies improvisées dont nous rêvions enfants depuis Robinson Crusoe. On bricole, on revient à l'expérience nomade. Comme si on était sous la tente. Ou dans une citadelle assiégée. On connaît les problèmes d'approvisionnement. On attend.

On attend. On dés-espère. 

Tout cela sans héroïsme. Il n'y a ni ténor ni diva. Des gens. Nous vous.

Ce dépouillement collectif ne fut pas calculé. La surprise acceptée a désarmé tout le monde. La prétention, la présomption, la satisfaction, sont laissées dehors pour quelque temps. On a le courage de décrocher, d'abandonner des postes. Sans héroïsme. Cela se fait. Pas de tambours et de trompette. On se dépasse un peu. Du coup se produisent des phénomènes imprévus dans les destins légèrement bousculés : des grâces se manifestent, des petites révélations des cœurs ; des personnes grincheuses laissent échapper une tendresse cachée.

Comme vous le voyez, il ne s'agit pas simplement du Tibet. Mais d'une modeste occasion inattendue d'être humains, provoquée par la chance d'une intrusion, celle du grand Tibet martyr. Ce sont les envoyés du pays fabuleux qui sans avoir rien calculé, viennent opérer chez nous une conversion, mais si transparente que même le mot " conversion ", si juste soit-il, est trop lourd pour la chose, trop chargé.

Les mots justement, je ne dois pas oublier d'en parler. Les mots aussi, bien sûr, sont de la même modestie ambiante. A la maison - car on est " à la maison " - entre nous - car il s'agit d'un " nous " simple et domestique - on se parle à demi-mots, par interjections, signes, d'ailleurs ce nous est à moitié tibétain. Alors circule sous notre toit une langue de bric de broc et de tashi delek, légère, gaie, économe, urgente, allusive. L'auteur elle aussi est suspendue et " improvisée ". Elle tient bien un journal, mais vraiment en cachette.

Combien de temps et jusqu'à quand cette brève et minime humanité va-t-elle tenir ensemble ? Un jour, trois nuits, six nuits ? Du dehors les échos arrivent dans la nacelle, commentaires des journaux, criants silences des gouvernements, chœur des associations.

Ce qui se fait très rare, c'est le sommeil. A neuf cents, on dort difficilement. Peu à peu cette insomnie, une petite calamité, prend un autre visage plus sérieux : ne s'agirait-il pas, sous la mine familière et agacée des dormeurs dérangés, de l'approche de ce que le bouddhisme appelle : l'éveil ? Sans que personne ne le décide ou sache, une légère sagesse se répand sur le plateau.

La compassion gagne. Un moment.
C'est un moment de partage et de reconnaissance.

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