6 octobre 2020
Simon Abkarian
Il y a six mois de cela, avec quelques amis liés au monde des arts et du cinéma, je rencontrai à Paris le ministre de la culture et des sports d’Arménie. La discussion était détendue, studieuse, constructive et amicale. Nous exposions chacun et chacune nos projets entre la France et l’Arménie. L’un parlait de transmission des savoirs, d’autres des moyens d’inventer des modes de production commune. Quant à moi je décidais de faire part au ministre de mon désir de créer un festival de théâtre international à Erevan. Je devais me rendre en Arménie en juillet pour visiter des lieux, mais la pandémie en décida autrement.
Je me souviens d’avoir dit au ministre que mon approche n’était nullement sentimentale mais concrète et pragmatique.
Depuis neuf jours l’Azerbaïdjan avec l’aide de l’armée Turque a déclenché une attaque généralisée sur l’Artsakh et l’Arménie. L’Europe et d’autres pays appellent au calme, quand Monsieur Erdogan clame haut et fort qu’il se tient aux côtés de son petit frère Azéri, qu’il lui viendra en aide à tout moment et par tous les moyens.
Pourquoi ? Par amour de l’autre qui parle la même langue ?
Oui, mais pas seulement, aussi par reflexe…génocidaire.
Cette rhétorique raciste, cette équation mortifère « Turkye über alles » est profondément ancrée dans la classe politique turque.
Depuis les temps obscurs, son héroïsme s’est confondu à l’inhumaine cruauté.
Et son patriotisme s’est mué en un nationalisme fascisant.
Comme tout paranoïaque, monsieur Erdogan pense le monde en termes de menaces et de soumission, de vainqueurs et de vaincus, de traîtres et de fidèles.
Et fidèle à son obsession panturque, il envoie à Bakou des avions, des drones et toutes sortes de missiles et… des djihadistes Syriens, Lybiens. Ceux-là même qui ont tué en France et en Europe. Ceux-là même qui, équipés par Ankara, ont chassé les kurdes de Kobané et de Afrin.
Mais pourquoi Ilam Aliev, comme son père trente ans plus tôt, a-t-il besoin d’engager des combattants étrangers ?
La motivation sur le champ de bataille est la clef, n’importe quel expert en matière de stratégie guerrière vous le dira. La motivation des Arméniens est simple : la survie sans condition aucune. Aliev lui, tout comme Erdogan, est motivé par sa survie politique, rien de plus. Pour ces deux multimillionnaires, cette guerre n’est pas seulement une question identitaire Turco-Turque. C’est un leurre, un écran de fumée censé occulter la crise économique que traversent leurs pays respectifs. Mais le sang versé, quel qu’il soit, retombera sur leurs têtes.
Bien sûr, Erdogan dément être l’instigateur de cette guerre.
Le déni est une arme majeure dans l’histoire de la diplomatie turque.
Mais l’homme fort d’Ankara fait plus fort que ses prédécesseurs, il nie le crime à venir avant même de l’avoir commis. « La Turquie sera aux côtés de ses frères Azéris »
Ça veut dire : « On va finir le travail de 1915. »
Il est dans la logique criminelle de ses pères.
Et lorsqu’il est pris la main dans le sac ou plutôt sur le manche, outragé, blessé dans son honneur si ottoman, tel un mauvais acteur, il se cabre sur le théâtre du monde et réfute, récuse l’évidence même.
Les preuves de son forfait sont pourtant indélébiles.
En Syrie, en Lybie, à Chypre, en Grèce et maintenant en Artsakh et de nouveau en Arménie.
Nombreuses sont les scènes de crimes (de masse) qui jalonnent l’histoire de son pays.
L’orgueil démesuré d’Erdogan ignore la raison, il ne comprend que la force.
Et lorsque la France s’interpose, il recule.
Pourquoi ? Parce que sa témérité s’affirme sur les plus faibles que lui.
Mais nous, peuple antique et millénaire, nous ne sommes pas faibles et qu’importe où nous nous trouvons, en Arménie ou en diaspora, nous soutiendrons de toutes nos forces, de tous nos bras Artsakh la courageuse qui depuis la nuit des temps et sans interruption maintient sa présence dans son antique berceau. Les pierres, sculptées ou pas, vous le diront.
Là-bas comme en Arménie les maisons sont ouvertes aux voyageurs.
Et quand trop nombreux il faudrait les nourrir, les portes se couchent, se transforment en table. C’est l’hospitalité qui est la couronne de notre peuple.
C’est elle qui fait de nous une civilisation.
Staline offre l’Artsakh, la fleur de notre patrie, aux tatars et l’histoire s’arrêterait là ?
Non, nous ne sommes pas des séparatistes, nous sommes nos fleuves, nos rivières, nos plaines, nos forêts et nos montagnes et voulons vivre en paix.
Et vous, amis de l’occident, ouvrez vos livres et remontez le cours de la grande histoire, depuis l’Antiquité « Arménie » est sur toutes les cartes et dans de nombreux récits.
L’Azerbaïdjan s’y est glissé de force en 1918, même la boisson Coca-Cola est plus vielle que lui.
C’est la guerre ! Ainsi en a décidé l’homme d’Ankara, l’émir du djihad islamique.
Et la langue maternelle de Nazim Hikmet, devenue nationale, se lasse de s’entendre mentir. Les Magna-dictateurs n’en sont pas à un mensonge près.
Ils persistent et s’enlisent dans un charabia aux accents fascisants.
L’orateur s’adresse au cœur, l’usurpateur harangue les peurs.
C’est la guerre, oui, et de l’autre côté des cimes le monde vaque aux affaires du monde.
Au lieu de leurs amours, nos enfants embrassent les armes.
Ils ont vingt ans mais leurs yeux en racontent mille.
Aussi, ils ne veulent pas de l’exil plus redoutable encore que la guerre tueuse d’hommes.
Ils n’iront pas marcher dans les déserts de Der Zor.
Leurs cadavres ne seront pas la proie des charognards.
Oui, c’est la guerre. Ainsi l’ont décidé les frères Turcs.
Où se cachait-elle toute cette haine, messieurs ?
Il était tant qu’elle sorte et que le monde vous voit tels que vous êtes vraiment.
Des monstres pétris de haine et de rancœur.
Des affairistes avides qui ne savent pas partager.
Certes vos familles détiennent des fortunes
Mais ce sont vos peuples qui vous pendront.
Car si la guerre à une vertu, c’est sa force de révélation.
Malgré vos armes dernier cri, malgré vos vociférations aux accents religieux, malgré vos
Djihadistes à 2000 dollars le mois et leurs cachetons à courage, vous ne gagnerez pas.
Car vous avez déjà perdu.
Emmenez vos morts et partez, la terre des Arméniens c’est le pays du savoir, le pays du miel et de la rose.
Vous ne sauriez quoi en faire.
Ici les femmes sont des reines porteuses de joie.
Et les filles n’ont aucun certificat à soumettre à aucun homme.
Ici la musique et le vin sont des remèdes incontournables.
Ici on peut prier à l’endroit, à l’envers ; on peut croire ou ne pas croire, personne ne viendra dire quoi que ce soit. Parce que notre pays à nous ce n’est pas un pays, c’est un carrefour. Et vous savez qui s’y croise ? L’humanité toute entière. Nous ici depuis des siècles nous pratiquons l’extase, même dans l’âpreté du combat. C’est en dansant que nous vous affronterons.
Alors si vous pensez nous égorger comme des agneaux en un tour de main, sachez que nous avons grandi sous le ventre des lionnes. Mais sachez surtout que nous n’oublions pas 1915, que nous avons appris.
Oui, nous savons désormais que le monde vaque aux affaires du monde, que “rien” ne viendra l’en détourner. Et si ce “rien” daignait nous regarder, il le ferait toujours trop tard.
Les consciences de ce monde sont toujours en retard d’un massacre.
Elles trouvent toujours les mots justes et éloquents pour dire leur retard qui n’en était pas un. Où que nous vivions, nous les Arméniens, nous savons cela. Aussi, nous nous battons pour l’avenir de nos enfants avec en mémoire nos morts qui refusent de mourir une deuxième fois.
PS : bientôt, avec mes amis, j’irai en Arménie, comme promis, créer un festival de théâtre international.
Simon Abkarian le 6 octobre 2020