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Guetteurs & tocsin

  • Guetteurs et tocsin
  • Publication du 13/09/2024

Des musées français courbent l’échine devant les exigences chinoises de réécriture de l’histoire et d’effacement des peuples

Le 31 août 2024

 

Un collectif de chercheurs dénonce, dans une tribune au « Monde », la passivité de certains musées face aux ingérences de la République populaire de Chine à propos des cultures qu’elle souhaite étouffer.

De l’ingérence de la République populaire de Chine dans les musées français

Alors que la France veut se doter d’une loi visant à prévenir les ingérences étrangères, rien ne semble arrêter celles de la République populaire de Chine (RPC) dans deux de nos grands musées : le Musée du quai Branly et le Musée Guimet. Désormais, la terminologie employée dans ces institutions reflète les desiderata de Pékin en matière de réécriture de l’histoire et d’effacement programmé des peuples non han qui ont été intégrés ou annexés par la RPC, cela jusqu’à en perdre aujourd’hui leur propre ethnonyme et celui de leur territoire ancestral.

Ainsi, on ne peut que s’étonner de la suppression, dans le catalogue des objets tibétains du Musée du quai Branly, du nom « Tibet » au profit de l’appellation chinoise « région autonome du Xizang ». Cette modification n’est que l’application d’une loi en vigueur depuis 2023 en RPC et montre bien la volonté que le Tibet, occupé et colonisé depuis 1950, doit être rayé des cartes et des consciences, au présent comme au passé. Au Musée Guimet, « monde himalayen » a remplacé le toponyme Tibet dans les salles qui lui sont consacrées.

Relais des Instituts Confucius

Pour rappel, si les dirigeants traditionnels des peuples du Tibet, du Turkestan oriental (Xinjiang) et de la Mongolie ont continué à gouverner leurs peuples dans le cadre d’allégeances aux empereurs mandchous, ces derniers ne régnèrent directement que sur la Chine proprement dite (dynastie Qing, 1644-1911). Les prétentions de la République populaire de Chine à occuper au profit de sa seule puissance ces territoires voisins du sien ont largement réussi aux dépens des peuples de ces territoires. Cela est connu des spécialistes, certes, mais probablement moins de ceux qui admirent les succès de la Chine contemporaine obtenus au prix d’une exploitation économique de ces territoires et d’une sinisation sans merci de ces peuples, grâce à la mise en place d’un régime dictatorial et de la domination démographique par les Han.

Le choix de nos musées, ainsi que de certaines de nos institutions universitaires qui abritent les relais de la propagande chinoise que sont les Instituts Confucius, est de ne pas heurter le régime de Pékin et sa sensibilité nationaliste exacerbée. Toute déviation du grand récit qu’encadre la nouvelle « pensée Xi Jinping » (sic) est jugée provocation ou tentative de séparatisme. Nos institutions veulent préserver à tout prix leur accès aux terrains de recherche, aux sources et aux archives chinoises, et bénéficier des largesses financières et des prêts d’objets muséographiques dépendant de la bonne volonté du régime chinois. Alors, on amadoue la puissance menaçante qu’est devenue la Chine de Xi Jinping et l’on courbe l’échine devant ses exigences de réécriture de l’histoire et d’effacement des peuples.

Tentative de censure à Nantes

Pourtant, toutes nos institutions ne croient pas qu’il faille accepter de telles ingérences. Le Musée d’histoire de Nantes, qui programmait une exposition consacrée à Gengis Khan, s’est heurté à la censure chinoise il y a quelques années. Cependant son directeur a refusé qu’en contrepartie du prêt d’objets par la Chine, le nom de Gengis Khan soit effacé, tout comme l’histoire et la culture mongoles, au bénéfice du nouveau récit national. Il a donc choisi de faire appel aux collections des musées de Mongolie et à des collections privées. Sa décision a abouti en 2023 à l’organisation d’une exposition d’une haute tenue scientifique, sans la participation chinoise.

A l’occasion de la commémoration des soixante ans de l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France, le Musée Guimet a prévu à l’automne 2024 une exposition sur Chang’an, capitale de la dynastie Tang (618-907). Faudra-t-il alors taire l’existence contemporaine de l’Empire tibétain (env. 650-842) dont les troupes ont occupé Chang’an en 763 ?
Que des musées français se laissent dicter la réécriture de l’histoire est un signe de grande faiblesse. Il est plus qu’urgent que nos institutions scientifiques et culturelles rejettent toute ingérence des régimes étrangers antidémocratiques.

Liste des signataires :

Jean-Luc Achard, tibétologue, CNRS 
Stéphane Arguillère, tibétologue, professeur des universités, INALCO
Jacques Bacot, expert d’art 
Anne-Marie Blondeau, directrice d’études, École pratique des Hautes Études, CRCAO 
Etienne Bock, tibétologue, conseiller scientifique, Fondation Alain Bordier
Katia Buffetrille, ethnologue et tibétologue, IR, École pratique des Hautes Études, CRCAO
Anne Cheng, sinologue, professeure au Collège de France 
Maria Coma-Santasusana, doctorante INALCO 
Pascale Dollfus, ethnologue, CNRS LESC
Marie-Dominique Even, sinologue et mongolisante, CNRS 
Guilhem Fabre, sinologue, professeur Emérite, Université Paul-Valéry-Montpellier 3 
Emanuela Garatti, post doctorante Université de la Ruhr, chercheuse associée CRCAO, EPHE 
Nathalie Gauthard, ethnologue, professeur des universités, Université d’Artois
Rachel Guidoni, bibliothécaire, Bibliothèque nationale de France 
Marie Holzman, sinologue, présidente Solidarité-Chine 
Matthew Kapstein, directeur d'études émérite, École Pratique des Hautes Études, CRCAO
Fernand Meyer, tibétologue, directeur d’études, EPHE 
Françoise Pommaret, tibétologue, directrice de recherches CNRS/CRCAO
Françoise Robin, tibétologue, professeure des universités, INALCO 
Nicola Schneider, tibétologue, IFRAE-CRCAO 
Nicolas Sihlé, ethnologue et tibétologue, Centre d'études sud-asiatiques et himalayennes, CNRS/EHESS 
Camille Simon, tibétologue, maîtresse de conférences, Université de Picardie, Lacito
Alice Travers, historienne, CNRS CRCAO
Samuel Thévoz, Université de Vienne, département d’histoire des religions 
Nicolas Tournadre, tibétologue, linguiste, Institut universitaire de France 
Alain Wang, sinologue et enseignant à l'École CentraleSupélec (Université Paris-Saclay)
Françoise Wang-Toutain, directrice de recherche CNRS, CRCAO