Le 01 mars 2025
L’explosion antisémite que traverse notre pays ne trouble pas ceux qui, d’ordinaire, s’insurgent contre le racisme, dénonce un collectif de personnalités, parmi lesquelles la sociologue Eva Illouz ou l’historienne Annette Wieviorka, dans une tribune au « Monde ».
Nous, juifs aux sensibilités politiques diverses, mais tous issus de la large famille de la gauche, voulons exprimer notre désarroi et notre indignation face à un antisémitisme qui prospère, et ce, parmi ceux qui, hier, étaient ou auraient pu être nos alliés.
Nous sommes affolés de voir nos amis et nos familles avoir peur pour leurs enfants quand ceux-ci sont insultés ou menacés à l’école. Sidérés de voir que beaucoup n’osent plus s’exprimer lors d’échanges avec leurs collègues, ou en arrivent même à cacher leur judéité sur leur lieu de travail. Devant les croix gammées, les graffitis antisémites tagués sur nos vitrines ou boîtes aux lettres, nous n’avons rencontré que le silence, le déni ou l’indifférence de la gauche extrême. Les sévices contre les civils et les otages israéliens n’ont pas semblé émouvoir cette même gauche, qui fait pourtant profession de foi de défendre l’humanité.
Nous sommes abasourdis que l’explosion antisémite que traverse notre pays depuis le 7 octobre 2023 (1 570 actes avec dépôt de plainte l’an passé, soit plus de quatre par jour) ne trouble pas ceux qui, d’ordinaire, s’insurgent contre le racisme. Depuis l’assassinat d’Ilan Halimi, en 2006, et des enfants de l’école Ozar Hatorah de Toulouse, en 2012, nous savons que l’antisémitisme tue en France.
Nous nous étions habitués à voir les réseaux sociaux devenir des égouts de la haine antijuive, nous nous étions résignés aux blagues nauséabondes qui passent pour de l’humour. Mais rien ne nous avait préparés, nous, juifs de gauche, à la désertion affichée des intellectuels et des penseurs bardés de bonne conscience et de vertu, qui, au lieu de se battre avec nous pour la paix, nous ont isolés et stigmatisés, n’examinant pas les présupposés de leurs raccourcis et amalgames. Le mot « sioniste » est devenu une insulte. Seuls les juifs qui se déclarent « antisionistes » sont désormais pardonnés d’être juifs. Un peu comme dans l’Europe médiévale, où l’on demandait aux juifs d’abjurer leur foi pour être acceptés.
Les grands coupables de l’histoire
Exprimer ces propos n’est même plus audible, puisque toute accusation d’antisémitisme est devenue, par principe, suspecte. Nous sommes désormais la seule minorité qui, si elle exprime son sentiment d’exclusion et proteste contre sa stigmatisation, est accusée en retour d’instrumentaliser sa souffrance ; nous sommes la seule minorité ignorée ou ridiculisée par la mouvance politique censée défendre les exclus. Il ne s’agit pas ici de commenter les agissements du gouvernement israélien d’extrême droite, que nous condamnons tous. Mais on ne peut que se demander si faire d’Israël un Etat paria n’est pas le substitut contemporain de la familière et ancienne mise au ban des juifs en tant que peuple paria.
Comment une partie de la gauche en est-elle venue à délégitimer le seul Etat juif du monde ? L’après-guerre a vu bien des frontières redessinées, en Asie, en Europe et au Moyen-Orient. Israël a fait partie de ce vaste mouvement et a vu le jour dans la légalité internationale, sur un territoire moins grand que la Bretagne. Ce lopin de terre était le seul refuge pour des rescapés de la Shoah et des réfugiés de pays arabes qui espéraient, en rejoignant les quelque 500 000 juifs qui y vivaient déjà, pouvoir enfin bâtir un avenir sans menace ni pogrom. Délégitimer Israël, c’est nier à ces réfugiés et à leurs descendants le droit de vivre. Confondre Israël avec ses implantations illégales, c’est faire des juifs, de tous les juifs, encore une fois, les grands coupables de l’histoire.
Nous sommes sidérés que les progressistes, qui dénoncent le nombre terrifiant de morts et de blessés civils à Gaza, nombre qui nous consterne autant qu’eux, oublient de dénoncer le Hamas. Nous pouvons à la fois exprimer notre accablement devant la destruction de Gaza et voir le Hamas pour ce qu’il est : un mouvement terroriste. Un mouvement qui tolère le viol comme arme de guerre, qui fait de la prise d’otages, y compris de tout-petits et de vieillards, un fait de gloire, qui filme ses exactions terroristes comme autant d’actes héroïques, et qui, à Gaza même, torture, tue ses opposants, soumet les femmes à sa férule, condamne à la mort les homosexuels.
Vertu simpliste
Ce même mouvement a déclaré à de nombreuses reprises ses intentions exterminatrices vis-à-vis des juifs et des Israéliens. Nous sommes dans la sidération que de professeurs qui occupent des chaires prestigieuses minimisent ou ignorent la nature du Hamas et de ses actions. Ou que d’autres affirment, comme cet ancien président de Médecins sans frontières à l’occasion du 80e anniversaire de la découverte d’Auschwitz, que « la mémoire d’Auschwitz apparaît comme une espèce de crachat à la figure des Palestiniens » …
Disons-le clairement : cette gauche-là ne veut pas la paix. Elle se nourrit des haines et alimente la haine, elle fomente les rejets et les clivages, fière de sa vertu simpliste et de sa lecture univoque d’une histoire complexe. Cette gauche ne sait plus questionner le réel et ne peut plus donner de réponses à ses bouleversements.
Devant les intolérables menaces trumpistes de nettoyage ethnique des Gazaouis, cette gauche-là n’a aucun espoir ou solution à offrir, elle ne peut que cultiver l’hostilité de deux peuples au lieu de les aider à surmonter la radicalisation de toutes les positions. Sous le couvert d’« antisionisme », elle alimente l’antisémitisme et accélère sous nos yeux le triomphe mortifère des extrêmes.
Les juifs se trouvent, encore une fois, au cœur de la crise de la République et de ses valeurs universelles. Ils n’ont pas voulu occuper ce rôle, mais force est de constater qu’au travers de la question juive se joue à nouveau l’avenir moral et politique de notre société.
Premiers signataires :
Christine Angot, autrice, cinéaste ;
Eric Benzekri, scénariste ;
Luc Boltanksi, sociologue ;
Tal Bruttmann, historien ;
Hélène Cixous, autrice et dramaturge ;
Daniel Cohn-Bendit, ancien député européen ;
Agnès Desarthe, autrice ;
Michel Hazanavicius, réalisateur, producteur, acteur ;
Eva Illouz, sociologue ;
Liana Levi, éditrice ;
Judith Lyon-Caen, historienne ;
Ariane Mnouchkine, metteuse en scène et directrice du Théâtre du Soleil ;
David Teboul, cinéaste, écrivain ;
Annette Wieviorka, historienne.