le 13 décembre 2023
Un an après leur adoption, les sanctions contre les principales chaines et entreprises de médias russes restent largement inappliquées par les opérateurs européens.
Le Comité Denis publie un rapport sur la (non) mise en œuvre de ces sanctions européennes contre les chaînes et entreprises de médias russes.
Il y a un an, le 16 décembre 2023, le Conseil européen adoptait le 9ème paquet de sanctions contre la Russie. Celui-ci contenait pour la première fois des sanctions contre les principaux groupes de médias russes (VGTRK, National Media Group et ANO-TV Novosti). Ces sanctions, prises dans le cadre du Règlement PESC 269/2014, implique un « gel des avoirs » mais aussi un « gel des ressources économiques », impliquant que les opérateurs européens ne peuvent plus mettre à leur disposition des capacités telles que bande passante sur les réseaux, hébergement de sites ou de comptes de réseaux sociaux.
Le même paquet de sanctions complétait la liste des chaînes russes déjà sanctions en mars et juin 2022 (dans le cadre de la Décision PESC 833/2014) en y incluant les quatre principales chaînes russes Perviy Kanal, Rossiya 1, NTV et REN-TV.
Dans le courant 2023 des chaînes et des entreprises ont été ajoutées à ces listes. Au total, l’Union européenne a sanctionné jusqu’à présent 14 chaînes de télévision russes, 9 entreprises de médias russes actives dans le domaine de la télévision, de la radio et sur Internet, 6 entreprises essentiellement actives sur Internet, 1 entreprise biélorusse de radio-télévision
Les opérateurs européens de satellites ont mieux appliqué les sanctions que les opérateurs de l’Internet (fournisseurs d’accès, hébergeurs de sites et de réseaux sociaux, plates-formes IPTV)
Les opérateurs de satellites européens tels qu’Eutelsat Group et SES ont, dans l’ensemble, bien mis en œuvre les sanctions contre les chaînes. Eutelsat Group a par contre reconnu ne pas encore avoir mis en œuvre les sanctions contre les entreprises, faute de lignes directrices claires. Cela signifie, par exemple, que l’opérateur, dont l’Etat français est le principal actionnaire, continue à diffuser vers la Russie et les territoires annexés de l’Ukraine les chaînes Zvezda des Forces armées russes, dont la filiale de radio-télévision a été sanctionnée le 23 juin 2023.
La mise en œuvre des sanctions est beaucoup moins suivie sur Internet. Le rapport analyse la possibilité d’accéder, en France, aux sites, flux en direct sur Internet, comptes sur les réseaux sociaux et plates-formes vidéo des chaînes et entreprises sanctionnées.
• Les opérateurs européens de l’Internet ont généralement bien respecté les premières sanctions adoptées en mars 2022, contre les chaînes Russia Today et Sputnik, bien que des lacunes et des formes de contournement soient observables. Il n’en va pas de même pour les sanctions successives : les sites et comptes sur réseaux sociaux des chaînes sanctionnées par la suite et des services des entreprises de médias à partir du 16 décembre 2023 restent, dans la plupart des cas, accessibles sans VPN.
• Quelques 260 sites des chaînes et entreprises sanctionnées ont été observés comme accessibles en France, sans VPN. Même les portails de la VGTRK, organisme de radiodiffusion d’Etat sanctionné le 16 décembre 2022 par l’Union européenne, restent accessibles, alors qu’ils proposent les chaînes sanctionnées ainsi que la chaîne Soloviev Live, qui porte le nom d’un propagandiste bien connu et sanctionné, chaîne qui est probablement celle qui diffuse le plus de propos d’incitation à la haine et au génocide.
• 1174 comptes sur réseaux sociaux des chaînes ou entreprises sanctionnés ont été observés comme accessibles en France sans VPN en octobre 2023.
• 108 plates-formes IPTV gratuites, 45 plates-formes IPTV payantes, 14 services de cardsharing et 6 services de listes M3u permettent un accès dans l’Union européennes à une ou plusieurs chaînes sanctionnées.
L’audience des chaînes sanctionnées et des comptes de réseaux sociaux des groupes sanctionnés
Le rapport utilise, pour évaluer l’audience des sites recensés, les données collectées pour la période mai-juillet 2023 par SImilarweb, une entreprise dont la fiabilité des résultats est généralement considérée comme très satisfaisante Bien qu’incomplètes, ces données sont suffisantes pour démontrer que les chaînes et services en ligne des entreprises sanctionnées ont une audience significative dans l’Union européenne, même lorsqu’ils sont exclusivement en russe. Le pourcentage de visites provenant de l’Union européenne peut être estimé comme étant de l’ordre de 3 à 5 % des visites totales.
• L’Allemagne est le pays de l’Union européenne où les différents types de sites proposant des chaînes russes trouvent le plus d’audience. Cela s’explique aisément par l’importance de la population russophone dans ce pays.
• L’étude recense également le nombre d’abonnés aux comptes sur les réseaux sociaux et les plates-formes de partage vidéo des chaînes et entreprises de médias sanctionnées. Youtube est le réseau qui compte le plus grand nombre d’abonnés à ces comptes.
Manque de transparence des plates-formes IPTV
L’étude met en évidence le manque de transparence d’une grande partie des plates-formes IPTV, gratuites ou payantes, permettant l’accès aux chaînes sanctionnées. Il en va de même pour la plupart des services de cardsharing et de listes m3u.
• Dans la plupart des cas, les mentions légales sur le fournisseur de ces plates-formes ne sont pas disponibles.
• Pour un nombre important de sites, il est impossible d’identifier l’hébergeur en recourant à des bases de données telles que website.informer.com En effet, nombre de fournisseurs recourent aux « services de sécurité » de l’entreprise californienne Cloudflare Inc., qui permet de masquer la société d’hébergement.
• Faute d’identification du fournisseur et de l’hébergeur, l’identification du pays ayant juridiction sur les services mentionnés est quasi impossible.
Un manque de lisibilité et d’information sur les sanctions contre les entreprises de médias
« Nous ne formulons pas de recommandations, conclut André Lange, coordinateur du Comité Diderot ; mais nous observons un manque de lisibilité de sanctions et un défaut d’information vers les opérateurs. Les sanctions contre les entreprises sont souvent présentées comme se limitant au « gel des avoirs », oubliant le « gel des ressources ». La liste des chaînes, sites et marques contrôlée par les entreprises sanctionnées n’a pas été communiquée par la Commission européenne, alors que des problèmes d’identification se posent, en raison notamment de la complexité, et parfois de l’obscurité des structures capitalistiques des entreprises. Seul cinq Etats membres ont publié des listes à l’intention de leurs opérateurs nationaux. En France, la Direction générale du Trésor ne l’a pas fait. La seule mise en œuvre a été le gel des avoirs de RT France SAS, ce qui a conduit à la liquidation de l’entreprise, mais non à la disparition complète de la chaîne ».
Plus d'informations sur le site du Comité Denis Diderot