Le 24 février 2023
Culture et résistance
La guerre que mène la Russie de Poutine contre l’Ukraine est une guerre contre sa culture et contre la culture en général.
Outre la négation brutale de l’identité ukrainienne, le Kremlin déclare décadentes les valeurs de démocratie, de liberté et d’esprit critique qui façonnent la culture européenne. De facto, l’Ukraine se trouve contrainte de les défendre, en notre nom à tous, contre la Russie.
À travers toute l’Europe, le monde de la culture affirme sa solidarité avec le peuple Ukrainien !
Des universités aux théâtres, des maisons d'édition au cinéma et aux arts visuels, les acteurs européens de la culture se mobilisent le 24 février, date anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. Avec ce qu’ils savent faire – leurs mots, leurs idées et leurs imaginaires –, les acteurs culturels prendront la parole pour montrer qu’ils se tiennent aux côtés du peuple ukrainien dans ses épreuves de chaque jour, pour l’aider à gagner la guerre et à préparer son futur.
Le 24 février seront posées les fondations d’un « nouveau mouvement humaniste rassemblant intellectuels et militants de différents pays »
Répondant à l’appel d’Oleksandra Matviichuk, Prix Nobel de la paix, plus de trente artistes et penseurs de renom international prendront la parole dans dix villes européennes, pour apporter leur réponse à la question : « Comment aider l’Ukraine et l’Europe à gagner la guerre culturelle que leur livre la Russie ? ».
Parmi eux : à Kyiv, Constantin SIGOV (philosophe), Volodymyr YERMOLENKO (écrivain) ; à Tbilissi, Guram Odisharia (écrivain), Beka Kurkhuli (écrivain) ; à Sofia, Theodora Dimova (romancière), Yordan Eftimov (essayiste) ; à Bucarest, Mihaela Pop (philosophe), Vladimir Cretulescu (historien) ; à Varsovie, Agnieszka Holland (cinéaste), Andrzej Seweryn (acteur, sociétaire de la Comédie Française) ; à Cracovie, Oksana Zabujko (philosophe), Sergiy Jadan (romancier et rocker ukrainien) ; à Rome, Nicolas Martino (philosophe et critique d'art), Francesca Bellino (écrivain et journaliste) ; à Madrid, Esther Bendahan (romancière), Juan Miguel Hernández León (architecte, Directeur du Círculo de Bellas Artes); à Paris, Robin Renucci (Directeur artistique de La Criée, Marseille), Marcel Bozonnet (comédien), Jonathan Littell (écrivain), Ariane Mnouchkine (metteure en scène et directrice du Théâtre du Soleil) ; à Berlin, Gerd Koenen (historien), Camille de Toledo (écrivain) ; etc.
Voici le message d'Ariane Mnouchkine, filmée à la Cartoucherie le 24 février 2023 (4:06:37)
« Comment aider l’Ukraine et l’Europe à gagner la guerre culturelle que leur livre la Russie ? »
Telle est, semble -t-il, la question à laquelle nous sommes quelques- uns à devoir répondre au nom de tant d’autres et non pas celle à laquelle, par erreur, je pensais répondre en écrivant ce petit message et qui était, croyais-je : « Comment aider les artistes à gagner la guerre culturelle ? »
Tant mieux, car je suis toujours un peu gênée quand il s’agit pour des artistes de manifester leur solidarité envers les artistes et seulement envers les artistes. Comme si nous revendiquions un régime spécial de la fraternité.
Et puis, cette solidarité artistique, comment l’exprimer tandis que les soldats ukrainiens, musiciens ou pas, sont saignés par milliers sur les champs de bataille, tandis que les femmes ukrainiennes, danseuses ou pas, se voient violer ou ravir leurs enfants, que des citoyens, metteurs en scène ou pas, et leurs familles, choristes ou pas, continuent de brûler dans les étages d’immeubles sciemment frappés par les bombes de cette bande de crapules scélérates et mafieuses qui martyrise l’Ukraine et qui, dans la foulée, et pour des générations à venir, condamne la Russie à la honte et désigne son peuple à la haine des pays démocratiques ou au moins informés, c’est-à-dire à la moitié du monde. Comment donc, nous, artistes et intellectuels français, pouvons-nous mieux aider l’Ukraine et l’Europe à gagner cette guerre culturelle, qu’en tentant avant tout de dénoncer chez nous et donc, par résonnance, ailleurs, les mensonges délirants, ou les délires mensongers, sur lesquels les dirigeants russes fondent la justification inique de leurs agressions successives. Aider l’Ukraine et l’Europe, c’est d’abord, sans aucune indulgence ou tolérance corporatistes, s’opposer à ceux qui, parmi nous, jeunes artistes, ou vieux intellectuels, certains très vieux même, qui du haut de leurs cent années de vie et donc de sagesse supposément accumulée, répandent un déluge de grossières contre-vérités historiques, véhiculées contre toute raison par des idéologies désastreuses. Idéologies ou Eglise, pourtant si violemment discréditées, depuis si longtemps, par tant de souffrances, de sang versé, de bagnes, de morts, de tortures, de hurlements étouffés depuis des siècles.
L’anti-américanisme pavlovien ne peut plus nous conduire à nier ou pire encore, à justifier la barbarie qui tente obstinément de spolier puis d’effacer un peuple et sa mémoire. Même indéniables, même impardonnables, nos propres ignominies colonialistes passées ne valent pas absolution des horreurs ethnico-impérialistes russes présentes.
Cela va sans dire pour beaucoup, mais visiblement pas pour tous. Voilà pourquoi je pense que notre aide à l’Ukraine passe d’abord et avant tout par une farouche résistance à tous ceux qui nous expliquent que la raison et l’amour de la Paix devraient nous conseiller d’abréger les souffrances de la victime en cessant de nous opposer militairement aux efforts monstrueux que fait son bourreau pour la déchiqueter.
Pour gagner cette guerre culturelle que nous livre la Russie, il faut d’abord gagner la guerre. Tout court. Que cela nous plaise ou non.
Lien vers le site de l'association « Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre ! » : www.pourlukraine.com