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Au fil des jours

  • Au fil des jours
  • Publication du 10/01/2018

L’Anniversaire

 

–     Était-ce une vraie révolution ?

–      C'était une révolution de rêve. Donc la rêvolution par excellence. Et sans sang.

Un soulèvement avec un Rimbaud pour prophète, une tragédie comique, le pays roule sur le dos, on élève des montagnes de pavés, des dizaines de milliers d'étudiants Prométhées font la pige aux vieux dieux, fin des barbons et des moisis. Chose inouïe, dans ce rêve, l'Histoire vaudeville, on voit en mai le plus Général des Généraux, emportant sa statue galonnée sous son bras, détaler et disparaître par la coulisse côté jardin, scène invraisemblable en réalité, mais en rêve tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Dans une autre scène c'est la Bastille qui tombe en miettes, depuis le temps qu'elle ronchonnait déguisée en Université, enfin on se la sort bonne, dans les amphithéâtres les mandarins périmés sont démandarinisés, dans la Ville délivrée tous ceux qui étaient muets parlent, les murs s'égosillent, les rues s'arrachent les pavés des yeux, les manifs font la mer en chantant « fay ce que vouldras », jamais Paris n'a si totalement rimé avec Ris !, les foules qui avaient égaré le génie de 89 au fond d'un tiroir se réveillent un beau samedi éclatantes de jeunesse, et naturellement on voit plus d'un ciel marcher sur la terre. C'est le joyeux Désordre de l'Humanité, et il est beau comme un âge d'or après deux cents ans de ténèbres. Tout ça avait été prédit et espéré depuis des temps et des temps par l'adorable Alcofribus Nasier, vous savez, ce grand abstracteur de quintessence de bouffonnerie communément arrêté sous le nom de François Rabelais, cet Arlequin qui matamorait rue des Écoles toutes les Zéglises, les Zétats, les Zusines et autres Zautorités, et à qui nous devons l'élixir de jouvence de la Littérature française...

D'ailleurs l'esprit de la divine extravagance soufflait tant de fantaisies et d'élans amoureux (car en 68 tout le monde s'était mis à faire l'amour à l'amour) qu'accoururent à la fête les plus vigoureux et enragés des poètes du monde, tous se tirant des exils et des dictatures qui chiourmaient la planète. J'ai vu dans la rue 68 se hâter Julio Cortazar, Carlos Fuentes, Vassili Vassilikos, et Pierre Alechinsky, et

–      Mais ! l’agressivité orgueilleuse, la confusion des haines, l’injustice l’injure l’enflure phalliques, la casse autoimmunitaire, la brutalité qui blesse le rêve, la soixantehuitardise quoi !, tu n’en dis rien ? Vraiment, il faut vraiment être toi pour être si totalement si et si

–    C’est que le Vacarme tyrannique trouve assez de haut-parleurs. Il faut bien qu’il y ait quelques voix pour rendre la parole aux Si d’espérances et aux silences souriants. N’essaie pas de me rêveiller.

 

Hélène Cixous, 4 janvier 2018