- « Une petite question : Et si le monde allait finir … que feriez-vous ? »
Ce titre est celui qu’on peut lire dans le journal L’intransigeant du 14 août 1922. Voici le texte complet de la question posée à Marcel Proust et sa réponse :
Un savant américain annonce la fin du monde, ou tout au moins la destruction d’une si grande partie du continent, et cela d’une façon si brusque, que la mort serait certaine pour des centaines de millions d’hommes. Si cette prédiction devenait une certitude, quels en seraient, à votre avis, les effets sur l’activité des hommes entre le moment où ils acquerraient ladite certitude et la minute du cataclysme ? Enfin, en ce qui vous concerne personnellement, que feriez-vous avant cette dernière heure ?
Je crois que la vie nous paraîtrait brusquement délicieuse, si nous étions menacés de mourir comme vous le dites. Songez, en effet, combien de projets, de voyages, d’amours, d’études, elle – notre vie –
tient en dissolution, invisibles à notre paresse qui, sûre de l’avenir, les ajourne sans cesse.
Mais que tout cela risque d’être à jamais impossible, comme cela redeviendra beau ! Ah ! si seulement le cataclysme n’a pas lieu cette fois, nous ne manquerons pas de visiter les nouvelles salles du Louvre, de nous jeter aux pieds de Mlle X …, de visiter les Indes.
Le cataclysme n’a pas lieu, nous ne faisons rien de tout cela, car nous nous trouvons replacés au sein de la vie normale, où la négligence émousse le désir.
Et pourtant nous n’aurions pas dû avoir besoin du cataclysme pour aimer aujourd’hui la vie. Il aurait suffi de penser que nous sommes des humains et que ce soir peut venir la mort.
Marcel Proust meurt le 18 novembre de la même année.
Les Éphémères sont ainsi une sorte de rituel d’évocation collective de ce qui a intimement tramé le présent de chacun. Le Soleil y expérimente un engagement nouveau, urgent : se recentrer sur l’homme ordinaire, grain de sable que la globalisation exile loin de lui-même, tenter de le comprendre, sans les voiles du narcissisme égotique, des vastes problèmes ou des idéologies. D’où vient-on, qui est-on ? En une période de bouleversement rapide où l’amnésie est une des composantes de notre vie, la quête du fil essentiel qui relie les êtres humains au monde est sans nul doute un acte politique nécessaire qui fait de la dernière œuvre d’art du Soleil, éloignée des prises de positions fortes, la coda de tout son répertoire.
Nous voilà spectateurs d'une fresque presque cinématographique, où gros plans et travellings se succèdent. Même les flash-backs sont présents dans des chassés croisés subtils entre plateaux d'hier et d'aujourd'hui. Où le présent regarde le passé, pour apprendre et mieux préparer le futur. En
hauteur, sur un petit balcon, le musicien Jean-Jacques Lemêtre rythme le spectacle, de ses mille et un instruments, cordes, piano, corne de brume, de sa voix même, quand il imite des oiseaux pour figurer l'ambiance paisible d'un jardin. Musique aérienne, évanescente.
« Magie obsédante de ces scènes en perpétuelle rotation - comme la Terre, comme la sphère, figure idéale de la Grèce antique -, qui, telles les danses soufies, finissent par nous mettre la pensée en lévitation. Ne manquez pas ce grand œuvre d'alchimiste : quand le mystère des émotions, fragile et irréductible, devient la matière même de la représentation. »
Fabienne Pascaud
Ce film est disponible en DVD