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Patti Smith

Le 21 octobre 2014

Le Théâtre du Soleil, en accord avec Le Rat des villes aura le plaisir et l’honneur d’accueillir

Patti Smith

pour un concert exceptionnel
le mardi 21 octobre 2014 à 20h30

© Michèle Laurent
© Michèle Laurent
© Michèle Laurent
© Michèle Laurent
© Michèle Laurent
© Michèle Laurent

Patti Smith, Just Kids [Extraits] 

Patti Smith n’a pas besoin d’être présentée, mais, pour les plus jeunes d’entre vous, ces quelques mots tirés du début de son livre Just Kids l’éclaireront bien mieux que ne pourrait le faire tout préambule superfétatoire.

 

J'ai grandi à une époque où le sexe et le mariage étaient absolument synonymes. Aucune contraception n'était disponible et à l'âge de dix-neuf ans j'avais encore une vision très naïve du sexe. Notre union avait été tellement fugace, tellement tendre que je n'étais pas complètement certaine que nous avions consommé notre affection. Mais la nature, dans toute sa puissance, allait avoir le dernier mot. L'ironie qui voulait que ce soit moi, qui n'avais jamais voulu être une fille, jamais voulu grandir, qui me retrouve confrontée à cette épreuve, ne m'a pas échappé. La nature me donnait une leçon d'humilité. [...]

Je suis restée assise un long moment, contemplant mes mains posées sur mon ventre. J'avais déchargé le garçon de sa responsabilité. Il était semblable à un papillon de nuit qui se débat avec son cocon, et je n'avais pas eu le courage de déranger sa laborieuse éclosion dans le monde. Je savais qu'il ne pouvait rien y faire. [...]

Au printemps 1967, je fis le point sur ma vie. J'avais amené l'enfant au monde en bonne santé et l'avait placée sous la protection d'une famille aimante et instruite. J'avais abandonné l'école normale, n'ayant ni la discipline, ni la motivation, ni l'argent qu'il m'aurait fallu pour continuer. J'occupais un emploi temporaire au salaire minimum dans une fabrique de manuels scolaires à Philadelphie.Mes parents nous avaient élevés dans une atmosphère de dialogue religieux et de compassion, avec le respect des droits civiques, mais dans l'ensemble on ne peut pas dire que les mentalités du South Jersey étaient franchement portées sur l'art et les artistes. 

Mon souci immédiat, c'était de savoir où aller ensuite, et que faire lorsque je serais là-bas. Je m'accrochais à l'espoir de devenir artiste, même si je savais que je ne pourrais jamais me payer des études aux beaux-arts et que je devrais gagner ma vie.

 Il n'y avait rien qui me retienne, pas de perspectives et pas de sentiment d'appartenance.

Mes quelques compagnons d'armes étaient partis s'installer à New York pour écrire de la poésie et faire des études d'art, et je me sentais terriblement seule.

Je trouvais de la consolation dans Arthur Rimbaud, que j'avais trouvé à l'étal d'un bouquiniste en face de la gare routière de Philadelphie quand j'avais seize ans. Son regard hautain sur la couverture des Illuminations accrocha le mien. Il était doté d'une intelligence irrévérencieuse qui m'enflamma, et je l'adoptai comme mon compatriote, mon frère et même mon amant secret. Comme je n'avais même pas 99 cents pour acheter le livre, je l'ai fauché.

Rimbaud détenait les clés d'un langage mystique que je dévorais même lorsque je ne pouvais le déchiffrer tout à fait. L'amour à sens unique que je lui portais était aussi réel que les plus vraies de mes exprériences. À l'usine, où je travaillais avec un groupe de femmes incultes et revêches, je me suis fait persécuter en son nom. Me soupçonnant d'être communiste parce que je lisais un livre écrit dans une langue étrangère, elles m'ont coincée dans les chiottes, m'ont ménacée en me sommant de le dénoncer. Dans cette atmosphère, je bouillais de rage. C'était pour lui que j'écrivais, pour lui que je rêvais. Il devint mon archange, celui qui me délivrait des horreurs triviales de la vie en usine. Ses mains avaient ciselé un manuel des cieux : je m'empressai de les saisir. Savoir qu'il existait conférait de l'assurance à mon pas et cette assurance-là ne pouvait m'être retirée. Je jetai mon exemplaire des Illuminations dans une valise écossaise. On allait s'échapper ensemble.

(éd. Denoël, 2010)