Sources des paroles
Samuel Taylor Coleridge, Carnets, traduction Pierre Leyris
Dante, La Divine Comédie, l'Enfer (Chant VII, Chant XXXII), le Purgatoire (Chant XXIX)
Soeren Kirkegaard, Crainte et tremblement
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, traduction Marthe Robert
Plutarque, Sur les délais de la justice divine, traduction de Jacques Amyot
Rainer Maria Rilke, Les Élégies de Duino, élégie V
Sophocle / Hölderlin / Brecht, Antigone, traduction Philippe Lacoue-Labarthe, Danièle Huillet
Torquato Tasso, Gerusalemme liberata, traduction Blaise de Vigenere
Sources musicales
Johan Sebastian Bach, Ludwig van Beethoven, Luciano Berio, Johannes Brahms, John Cage, Pascal Dusapin, Hans Eisler, Friedrich Haendel, Joseph Haydn, Maurizio Kagel, Luigi Nono, Wolfgang Rihm, Arnold Schönberg,
Dimitri Schostakovitch, Jean Sibelius, Giuseppe Verdi, Antonio Vivaldi.
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Tu dis
Mon roi, je n'irai pas dire que c'est
la vitesse qui me coupe le souffle et que
j'ai bondi d'un pied léger. Car bien des fois
le souci m'a retenu et fait tourner sur le chemin
pour revenir en arrière. C'est que l'âme me chantait
pas mal de choses en songerie. Où vas-tu
Et là où tu vas, est-ce que tu fais ton rapport ?
Traînes-tu en arrière, malheureux ?
En comment tu n'en aurais pas du souci ?
A ruminer pareillement, j'allais sans forcer, lentement :
c'est ainsi qu'un petit chemin peut s'allonger.
Mais à la fin, ce qui l'a emporté, c'est que
je dois venir, et même si mon dire ne compte pour rien,
je parle quand même. Car je viens dans l'espoir
qu'il n'y aura de suite à mes actes que nécessaire.
Tu dis
Qu'y a-t-il, que tu arrives si timoré ?
Tu dis
Je veux d'abord tout te dire de ce qui me concerne :
je ne l'ai pas fait ; sais pas non plus qui l'a fait.
Tu dis
Tu vois bien, Tu jettes un voile autour
des faits et tu sembles avoir à dire autre chose.
Tu dis
Le terrible, c'est vrai, donne aussi bien de la peine.
Tu dis
Dis de quoi il s'agit, et puis retourne-t-en !
Tu dis
Je parle donc : on vient d'enterrer le mort,
puis on s'est sauvé, ayant versé deux fois de la poussière
sur la dépouille et l'ayant célébrée comme il convient.
Tu dis
Que dis-tu ? Qui a eu l'audace ?
Tout ceci lui est sans limite , mais
une mesure est établie. Celui en effet qui n'en trouve pas, en son propre
ennemi il se jette sus. Comme au taureau
il courbe à l'être humain la nuque, mais l'être humain
lui arrache l'intestin. S'il vient en avant
c'est en piétinant durement son semblable. L'estomac
il ne peut pas se le remplir seul, mais le mur
il l'établit autour de ce qui lui est propre, et le mur
démoli il faut qu'il soit ! le toit
ouvert à la pluie ! Ce qui est humain
il ne le considère pas du tout. Ainsi, monstrueux
se devient-il à soi-même.
D'après Sophocle / Hölderlin / Brecht, Antigone
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Les étourneaux en vols immences dérivent comme la fumée, le brouillard ou n'importe quoi de vaporeux [sans] volition - tantôt une surface circulaire qui s'infléchit [en] arc, tantôt un globe - [tantôt une] ellipse oblongue - [tantôt] un ballon avec sa [nacelle suspen] due, tantôt un demi-cercle concave et cela s'épand et se condense sans cesse, parfois miroitant et frissonnant, indistinct et ombreux, parfois s'épanouissant, s'approfondissant, s'enténébrant !
Je n'ai qu'à fermer les yeux pour savoir combien je suis ignorant / d'où viennent ces formes et ces Formes colorées& ces couleurs, distinguables au-delà de ce que je peux distinguer, ces Couleurs variables et indéfiniment co-présentes : ces Formes dont je me demande ce qu'elles sont / à quoi elles ressortissent dans ma Remémoration de la veille - & sans presque jamais recevoir de réponse. je perçois & sais seulement que quelque changement que j'opère dans une quelconque part de moi produit un Changement, dans ces Spectres de l'Œil, comme par exemple si j'appuie sur ma Cuisse, si je change de côté, &c &c.
Samuel Taylor Coleridge,
traduit par Pierre Leyris.
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(…) quand l'esprit fut hors de son corps, il se trouva du commencement, ni moins que ferait un pilote qui serait jeté hors de son navire au fond de la mer, tant il se trouva étonné de ce changement ; mais puis après s'étant relevé petit à petit, il lui fut avis qu'il commença à respirer entièrement, à regarder tout à l'entour de lui, l'âme s'étant ouverte comme un oeil, et ne voyait rien de ce qu'il soulait voir auparavant, sinon des astres et étoiles de magnitude très grande, distantes l'une de l'autre infiniment, jetant une lueur de couleur admirable et de force et roideur grande ; tellement que l'âme étant portée sur cette lueur comme sur un chariot, doucement et uniment, ains que sur une mer calme, allait soudainement partout où elle voulait, et laissant à part grand nombre de choses qu'elle avait vues, il disait qu'il avait vu que les âmes de ceux qui mouraient devenaient en petites bouteilles de feu, qui montaient de bas en haut à travers l'air, lequel s'ouvrait devant elles, et que petit à petit lesdites bouteilles venaient à se rompre, et les âmes en sortaient ayant forme et figure humaines ; au demeurant fort agiles et lègères, et se mouvaient, non pas toutes d'une même sorte, ains les unes sautillaient d'une légèreté merveilleuse, et jaillissaient à droite ligne contre-mont; les autres tournoyaient en rond comme des bobines ou fuseaux ensemble, tantôt contre-mont, tantôt contre-bas, de sorte que le mouvement était mêlé et confus, qui ne s'arrêtait qu'à grand-peine et après un bien long temps.
Or n'en connaissait-il point la plupart, mais en ayant aperçu deux ou trois de sa connaissance, il s'efforça de s'en approcher et parler à elles ; mais elles ne l'entendaient point, et si n'étaient point en leur bon sens, ains, comme étourdies et transportées, refuyaient toute vue et tout attouchement, errant ça et là à part elles, du commencement, et puis en rencontrant d'autres disposées tout de même, elles s'embrassaient et se conjoignaient avec elles, en se mouvant ça et là sans aucun jugement et jetant ne sait quelles voix non articulées ni distinctes, comme des cris mêlés de plaintes et d'épouvantement ; les autres parvenus en la plus haute extrêmité de l'air étaient plaisantes et gaies à voir, étant gracieuses et courtoises, que souvent elles s'approchaient les unes des autres et se détournaient au contraire de ces autres tumultuantes, donnant à entendre qu'elles étaient fâchées quand elles se serraient en elles-mêmes, et qu'elles étaient joyeuses et contentes quand elles s'étendaient et s'élargissaient.
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Entre lesquelles il dit qu'il en vit une d'un sien parent, combien qu'il ne la connaissait pas bien certainement, d'autant qu'il était mort, lui étant encore en son enfance ; mais elle, s'approchant de lui, le salua en disant : " Dieu te garde, Thespésius. " De quoi lui s'ébahissant lui répondit qu'il n'était pas Thespésius , et qu'il s'appelait Arideus : " oui bien, dit-elle, par-ci devant, mais ci-après tu seras appelé Thespésius, car tu n'es pas encore mort, mais par cette permission de la destinée tu es venu ici avec la partie intelligente de ton âme, et quant au reste de ton âme, tu l'as laissé attaché comme une ancre à ton corps ; et afin que tu saches dès maintenant pour ci-après, prends garde à ce que les âmes des trépassés ne font point d'ombre, et ne cloent et n'ouvrent point les yeux ".
Thespésius ayant ouï ces paroles se recueillit encore davantage à discourir en soi-même, et regardant çà et là autour de lui, aperçut qu'il se levait quand et lui ne sait quelle ombrageuse et obscure linéature ; mais que ces autres âmes-là reluisaient tout à l'entour d'elles, et étaient par le dedans transparentes, non pas toutefois toutes également ; car les unes rendaient une couleur unie et égale partout comme fait la pleine lune quand elle est plus claire, et les autres avaient comme des écailles ou cicatrices éparses çà et là par intervalles, et des autres qui étaient merveilleusement hideuses et étranges à voir, mouchetées de taches noires, comme sont les peaux des serpents ; les autres qui avaient de légères frisures et égratignures au visage.
Plutarque