L'ovale des gradins ; entre eux et le public ordonné dans l'arène (est-ce donc lui qu'on a jeté aux lions ?...), des portants de bois et d'acier qui divisent l'espace scénique en plateaux disposés comme autant de marches énormes ; derrière, les arbres, que les projecteurs, tout à l'heure, feront flamber ; derrière encore, et au-dessus, et sur les côtés, un ciel boursouflé d'édredons gris, qui se dandinent, qui menacent... mais qui n'oseront pas !
Soudain, le rythme obsédant du tambour qu'accompagne une musique déhanchée, fouettée d'arabesques aigrelettes : l'Asie arrive. D'entre les pierres là-bas une dizaine de torches se ruent alors sur le podium : Gengis Khan est parti !
L'épopée va durer deux heures, qui nous tiendra en haleine. Gengis Khan pourra, au bout du compte, perdre la Chine, le spectacle, lui, aura gagné.
Dois-je confesser que je ne m'attendais pas à cette réussite ? Que je ne prêtais pas à l'Association Théâtrale des Etudiants de Paris tout le talent dont ses membres ont fait la preuve éclatante en montant ce Gengis Khan d'Henry Bauchau ?
Le texte est fort, comme on peut dire d'un vin honnête qu'il l'est. Les répliques ont le goût du vent. Et c'est là une qualité qui ne manque pas d'être assez rare dans le théâtre d'aujourd'hui.
La mise en scène va au grand trot du texte. Elle est signée Ariane Mnouchkine qui ne renie évidemment pas ses préférences : Roger Planchon, et, derrière lui, Bertolt Brecht. Costumes, disposiion scénique, mouvements, tout s'inspire ici de la technique du maître du Berliner Ensemble.
Dans le cas présent, le résultat est incontestablement heureux.
Des comédiens, beaucoup, la plupart, ont la présence qu'il faut (Armel Marin, Jacques Torrens, Pierre Garin) ; tous ont, d'évidence, foi en leur entreprise, et cet enthousiasme gomme allégrement certain amateurisme resté ici et là dans tel geste ou dans telle réplique...
Savez-vous que tout cela est du travail bel et bon ? Et le théâtre qui crève de chaleur dans le salon fin de siècle du "boulevard" doit soupirer d'aise ici, humant le grand air qui fait gronder les mots, claquer les étendards et arder les torches...
RABINE Henry, "Gengis Khan aux Arènes de Lutèce", La Croix, 1er juillet 1961.