Avec 1789, il nous a été possible, pour la première fois, d'adopter une même démarche pour l'ensemble des techniques nécessaires à l'élaboration du spectacle. Ainsi, de même que sur le plan de l'improvisation, la plus grande liberté, la plus totale disponibilité était laissée aux comédiens, de même le travail de l'équipe technique pour l'élaboration du décor, ou de l'équipe "costumes" ou encore des éclairages n'a pas été conçu "a priori", mais a constamment évolué au fur et il mesure des répétitions.
Le dispositif scénique avait été pensé à l'origine comme devant être adaptable aux dimensions d'un terrain de basket. La troupe n'ayant pas de lieu fixe de représentation, cet impératif nous semblait pouvoir faciliter les représentations en tournée : pas une ville qui n'en ait un. Ce sport d'équipe, conçu comme un spectacle où les actions individuelles sont importantes, a secrété un espace dûment codifié qui correspond à la représentation de 1789. Le terrain de basket fournit aux "regardés" (joueurs-acteurs) une aire propice aux mouvements d'ensemble tandis qu'il permet aux "regardants" (spectateurs) de ne rien perdre de chaque action individuelle. De plus nous retrouvions dans les rapports gradins-aire centrale-tréteaux une certaine équivalence avec les rapports du théâtre de foire sur les places des villes à marché ainsi à Cambrai, les bateleurs s'installaient sur la place du marché pour jouer devant le menu peuple tandis que des fenêtres des maisons bourgeoises une autre vision était possible.
Pour la première fois, nous avons pu concevoir, lors des premières répétitions au Palais des Sports de la porte de Versailles, une maquette grandeur nature, qui permettait d'expérimenter les différents problèmes : hauteur idéale des tréteaux pour les spectateurs debout, nombre d'aires scéniques, moyens de les relier les unes aux autres.
Une fois la maquette réalisée et utilisée par les comédiens, les tréteaux, d'abord confectionnés selon des techniques sommaires et avec des matériaux provisoires, ont été construits d'après les plans et selon les méthodes des ouvriers charpentiers de l'époque, entièrement chevillés.
De même pour les costumes, le travail des maquettistes n'a pas été la traditionnelle confection de maquettes d'après des documents d'époque : les comédiens avaient à leur disposition dès la première répétition tout un lot de costumes des spectacles précédents, costumes achetés chez des fripiers, lot de costumes du Français ou de films dans lequel ils puisaient selon leur fantaisie pour les besoins de leurs silhouettes en fonction des personnages improvisés. Ils se "déguisaient" comme font les enfants qui jouent aux corsaires... Le travail de maquettiste était alors de se servir des formes, des couleurs, des matières suggérées par les comédiens pour fixer les costumes définitifs, tous ou presque consolidés, retravaillés.
Le principe des éclairages a procédé de la même démarche. Après avoir essayé d'éclairer chacun des praticables au moyen de projecteurs, nous nous sommes rendus compte que ce qui se passait autour de ces aires de jeu tant du côté des acteurs que des spectateurs ne devait pas être plongé dans l'obscurité, que c'était même paradoxal. Pour cette raison, nous avons été amené à établir un "plan de feux" fait d'ampoules et de diffuseurs, commandés par un jeu d'orgue qui donne la possibilité de jouer sur l"intensité des uns et des autres. Aussi peut-on éclairer plus ou moins un plateau sans l’isoler, la diffusion de la lumière permettant d'établir un trait d'union avec le reste du dispositif. Nous n'utilisons des projecteurs que pour les scènes spécifiquement "théâtrales" comme la "Nuit du quatre août". Il est évident que ce choix n'aide pas beaucoup, si puissante que soit la possibilité d'intensité, l'éclairement des acteurs, aussi utilisons-nous quatre projecteurs de poursuite qui suivent tous les personnages.
L'Avant-Scène Théâtre, n°526-527, octobre 1973, pp. 13-14