Le Roi Lear par Wu Hsing-Kuo – Genèse
« Wu Hsing-Kuo, vous êtes le Roi Lear ! » me lança le grand metteur en scène Yukio Ninagawa après avoir vu au Japon en 1993 mon spectacle Le Royaume du désir, une adaptation du Macbeth de Shakespeare. Il me suggéra d’interpréter ce personnage, mais à cette époque je me sentais trop jeune pour jouer le rôle d’un vieil homme de 80 ans. Il me dit que si j’attendais d’être plus âgé, je n’aurais sans doute plus l’énergie suffisante pour jouer le Roi Lear. Dix ans plus tard, je pris conscience qu’il s’agissait d’une tâche particulièrement difficile, surtout lorsque je décidai de faire de la pièce un solo.
Lear est un homme à la fois fou et furieux. J’eus besoin d’une énergie immense pour incarner son orgueil et sa versatilité. En 1998, Ariane Mnouchkine assista à la représentation du Royaume du désir au festival d’Avignon et m’invita en 2000 à venir en France encadrer un stage et jouer au théâtre de l’Odéon. À cette époque, j’avais choisi de suspendre les activités de ma compagnie – le Contemporary Legend Theatre – faute de budget et d’acteurs talentueux. Je me sentais alors comme le Roi Lear. J’avais perdu ma compagnie et errais seul en France, souffrant de l’exil. Juste après avoir joué mon adaptation du Roi Lear à Paris, Ariane Mnouchkine m’empoigna par les épaules et me lança : « Hsing-Kuo, si tu ne remontes pas sur les planches, je te tue ! ».
C’est à Taïwan, en 1986, que Wu Hsing-Kuo fonde le Contemporary Legend Theatre, convaincu que l’opéra chinois, avec son style si unique alliant le chant, la déclamation, la performance et l’acrobatie avait quelque chose d’important à donner, à partager avec le reste du monde. Ses recherches l’amènent à puiser dans toutes les formes du répertoire, à tirer profit de sa parfaite maîtrise des techniques traditionnelles, tout en insérant dans ses mises en scène effets spéciaux et référence au cinéma contemporain.
Wu Hsing-Kuo entre à l’Académie nationale des Arts dramatiques Fu Hsing à l’âge de 11 ans. Il y étudie durant huit années et obtient des premiers rôles dans la troupe de l’école dès l’âge de 16 ans. Une fois diplômé, il s’inscrit à l’université de la Culture chinoise, à Taipei. Il est par la suite embauché par Lin Hwai-Min, le fondateur de Cloud Gate. Les voyages qu’il effectue avec la troupe à l’étranger, et les films, les spectacles qu’il y voit contribuent à former sa vision. En 1984, il commence à travailler sur l’ébauche d’un nouveau style d’opéra, qu’il situe dans un lointain passé afin de mêler des éléments culturels divers sans s’embarrasser des conventions.
C’est le seul moyen, se dit-il, de ramener vers l’opéra un public plus jeune. Il prend une pièce du répertoire théâtral classique occidental, « Macbeth » de Shakespeare, comme point de départ et, avec quelques amis travaille à son adaptation. Après trois ans, ils présentent enfin « Le Royaume du Désir » qui est joué dans 26 villes à travers le monde – au Royal National Theatre de Londres, au festival d’Avignon, dans plusieurs villes du Japon, à l’Odin Teatret au Danemark, ou encore au festival Spoleto de Charleston, aux États-Unis.
Conforté par ce succès, Wu Hsing-Kuo continue dans la même veine avec « War and Eternity » (adapté de Hamlet) en 1990, « Le Roi Lear » en 2000 et « La Tempête » en 2004. Sans se limiter à Shakespeare, il s’inspire également de la tragédie grecque avec « Médée » d’Euripide en 1993 et « L’Orestie » d’Eschyle en 1995. Il adapte également des pièces classiques de l’opéra de Pékin (« Les derniers jours de l’empereur Li Yu » et « La concubine cachée »).