Le 23 janvier 2025
De même que l’on ne peut pas réduire la haine vertigineuse que le parti nazi a construite contre les juifs au milieu du xxe siècle à un simple avatar de l’antisémitisme séculaire européen, pourtant riche en pogroms, de même on ne peut rabattre la politique des talibans contre les femmes en Afghanistan depuis leur retour en août 2021 au complexe stigmate historique à l’encontre des femmes dans tout le Moyen-Orient. Dans cette aire géographique, les différentes branches de la culture musulmane posent une inégalité ontologique entre les sexes au bénéfice des hommes, qui oriente le droit, les mœurs, et pervertit la conscience morale collective (comme, par exemple, lors de ces crimes d’honneur, où ce sont les parents eux-mêmes qui tentent d’assassiner leur fille, dont la sexualité déshonore la famille même après un viol).
Crimes sans nom
Au milieu du xxe siècle, l’exceptionnalité des crimes hitlériens rendait nécessaire un outil juridique, la qualification d’un crime d’État particulier, non pas en tant que crime nouveau (l’extermination de populations entières étant hélas attestée dans la longue durée de notre histoire), mais en tant que « crime sans nom[1] », marqué par une quantité vertigineuse de victimes et l’extrême cruauté de leurs modes d’extermination. La dimension extrême de ces crimes, liée à la massification des victimes dans le cadre d’une gestion étatique des modalités sociales et industrielles d’extermination, reste in-imaginée, non pas parce qu’inimaginable, mais parce qu’impossible à penser tant qu’ils sont sans nom. Ils restent en dehors de la réflexivité collective, contrairement aux atrocités romanesques des crimes de sang du seul « méchant », abondamment mises en récits dans les œuvres de fiction ou à propos de certains des faits divers. Autant les crimes individuels sont nommés et commentés dans les débats publics, autant les crimes immenses de certaines politiques d’État restent dans le brouillard du non-dit, du non-nommé, ce qui protège leur caractère innommable. L’invention du mot « génocide » fut la condition première de la perception de sa réalité et de la compréhension de son sens, et permit (outre la victoire militaire) un pas vers l’institution d’un droit international. Une fois que le terme existe, il déborde le champ juridique pour envahir les champs historiques et littéraires, ainsi que le langage ordinaire, pour y incarner le pire crime qu’un pouvoir étatique puisse commettre à l’encontre d’une collectivité. Cette incarnation du mal radical de l’époque fut tellement efficace que, bien souvent, la propagande des régimes dictatoriaux à tendance génocidaire contemporains (comme la Russie dans sa guerre d’agression en Ukraine) s’approprie le langage du combat contre le « génocide nazi ».
Une fois nommé, ce crime d’État peut être défini. Il suppose un choix politique, puis une stratégie et des tactiques : l’intention attestée d’exterminer tel ou tel groupe, en partie ou en totalité, est une des conditions de la définition du génocide, ce qui suppose donc la construction en amont de la haine et de la défiguration du groupe devant être exterminé par un travail de propagande enraciné dans les préjugés du temps, nourri de mensonges plus ou moins pervers où la future victime se retrouve criminalisée, c’est-à-dire détruite culturellement et socialement avant de l’être physiquement.
L’autre collectif est visé dans son identité collective (« géno-cide », de genos : « naissance, filiation », et donc « race, ethnie, communauté, nation ») : tous les membres de la communauté (enfants, vieillards, femmes enceintes etc.) et l’ensemble de leur culture (la langue et l’histoire, les cimetières et les monuments, les modes de vie et les traditions…), sont donc les objets d’une formidable extension de la haine qui définit le racisme, l’antisémitisme et les autres blocs de violences contre un Autre collectif défini comme inférieur, toxique et devant être détruit. Historiquement, au xxe siècle, cet intense travail de propagande est une condition nécessaire à la mise en œuvre du projet génocidaire qui sera ainsi acceptée par le second cercle des populations non génocidaires, dominées et sous influence.
Les décrets contre les Juifs
Il s’agit donc, dans un premier temps, d’exclure les groupes stigmatisés de l’espace public par une multiplication de décrets liberticides, classiques dans leur atteinte aux droits humains, mais aussi de décrets d’un arbitraire grotesque qui accentue leur cruauté[2]. Ces deux niveaux de persécution législative peuvent être distingués : le premier crée les conditions de l’exclusion réelle hors du cercle de la vie normale des citoyens/citoyennes légitimes, le second criminalise tout ce qui peut laisser supposer un bien être…
Il faut relire les décrets pris en Allemagne à l’encontre des Juifs dès la prise de pouvoir de Hitler et des années avant la mise en œuvre de leur extermination systématique. D’une part, on trouve les interdits liberticides, qui concernent les droits humains fondamentaux (être scolarisé, soigné, travailler, circuler et s’exprimer librement, égalité de présence dans le monde social…). Les groupes victimes de ces décrets cruciaux voient s’accentuer un isolement social qui les enferme progressivement dans leur propre espace privé : puis, l’interdit de sortir librement de chez soi devient déplacement forcé, du ghetto au camp. Ce premier volet de décrets liberticides s’appuie sur le jugement implicite d’une inégalité ontologique qu’un signe infamant doit exhiber sur leur corps, et dont la propagande frappe ces êtres inférieurs et détestables.
D’autre part, on trouve les décrets d’interdiction secondaires, dont l’arbitraire absurde touche au sadisme du détail : interdiction d’aller chez le coiffeur ou en bibliothèque, de traverser un parc, d’avoir des chats, des livres, de faire du sport, du piano, de consommer du chocolat, de fermer sa porte, etc. , ce qui entraine toute une sphère d’anticipation intime d’auto-interdictions de conduites minuscules, comme marcher au milieu du trottoir, rire ou parler fort, soutenir un regard, ouvrir sa fenêtre en grand etc. Ces décrets baroques et superflus mettent en place, dans la vie quotidienne, cette forme de vie fantomatique des exclus sociaux, devenus ombres d’eux-mêmes à cause de la honte. En effet, cette exclusion globale, polysémique, d’une précision cruelle parce qu’absurde, de toute vie sociale normale, empêche aussi la dignité d’être soi, en abîmant les libertés intimes et mineures, dont le réseau invisible et sécurisant enveloppe une présence physiquement à l’aise parce que socialement légitime.
L’imaginaire implicite contenu dans la définition du génocide est qu’il va de soi que le groupe dont il faut effacer la présence et l’histoire « sur cette terre » à jamais et pour toujours peut disparaitre entièrement sans que la survie des exterminateurs ne soit impliquée. Les Allemands auraient survécu à la totale disparition des Juifs allemands prévue par le Reich ; la nation turque peut nier, tout au long du xxe siècle, le génocide qu’ils ont commis contre les Arméniens ; les Hutu pensaient se débarrasser définitivement de tous les « cancrelats » tutsi ; et, en Pologne, la civilisation ashkénaze a pratiquement disparu…
L’impossible génocide de genre
Mais imaginons que la haine génocidaire prenne pour objet, non pas une communauté d’hommes et de femmes unis dans leur identité collective, mais la moitié de la société que représente l’un des deux sexes, que se passe-t-il ? L’intention d’extermination touche alors la problématique de la différence des sexes et le fait anthropologique que c’est de la rencontre entre les deux sexes – qu’ils puissent « se connaître » au sens biblique – que dépend le renouvellement des générations. Un jour peut-être, le clonage industriel remplacera la sexualité humaine mais, pour le moment, ce n’est pas d’actualité.
Dans les œuvres de fictions, quelques récits dystopiques racontent un monde de femmes dominantes qui auraient éliminé les hommes de leur vie sociale. À un moment, elles enlèvent quelques beaux garçons pour « faire les enfants », puis tuent les nourrissons mâles et les pères, et retournent à leur univers de non-mixité. Ces récits inversent souvent et avec jubilation le réel des faits historiques, à savoir la banalité de la domination masculine. Légitimée par les constructions idéologiques et les systèmes de croyances, cette domination, appelée plus justement « valence différentielle des sexes » par l’anthropologue Françoise Héritier[3], peut peser de façon plus ou moins tyrannique dans les pratiques, ou rester seulement symbolique. Au cours du xxe siècle, le monde occidentalisé a progressé sur le chemin d’une acceptation collective profonde de l’égalité entre les sexes. Si, en Iran, les femmes, présentes dans l’espace public et dans de nombreuses professions, se voient imposer les signes de leur infériorité comme le voile obligé, qui visent leur consentement ou soumission à leur statut inférieur que l’idéologie des vieux mollahs rétrogrades et sanguinaires pose comme valeur religieuse de base, la situation en Afghanistan présente une mutation politique spécifique dans la violence du stigmate de genre : il s’agit non seulement d’exclure hors du monde social la présence réelle des femmes, mais aussi d’effacer l’existence culturelle et symbolique du féminin. Même si les décrets contre les femmes s’inscrivent dans un cadre religieux imposant aux hommes aussi barbe et interdits divers (de musique, d’usage des écrans, de jeux, d’art etc.), la dimension de haine spécifique et d’anéantissement identitaire ne vise que les femmes : elles deviennent les pires ennemies de l’humanité masculinisée, et elles occupent leurs lits.
Il faut lister les différents décrets qui enveloppent le corps et le destin des femmes d’interdits aussi efficaces pour les faire disparaître de toute vie sociale que le voile intégral l’est pour les rendre physiquement invisibles[4]. Un des derniers décrets sur l’interdiction de parler fort ajoute à leur disparition du visible leur exclusion du sonore. On retrouve dans la liste d’interdits les deux niveaux évoqués ci-dessus des mesures à l’encontre des Juifs dans la société allemande sous Hitler : les mesures liberticides de base, qui touchent aux droits fondamentaux (exclusion de la sphère d’égalité ontologique, de l’enseignement, de l’exercice des métiers, de l’hôpital comme médecin et patiente, de l’espace public, des écrans, etc.) et qui viennent inscrire l’infériorité des femmes dans la vie quotidienne et auxquels il faut ajouter les interdits particuliers « de genre » comme celui d’apparaître , ou celui de célibat. On retrouve aussi l’autre niveau touchant des aspects mineurs de la vie quotidienne : traverser un parc, dans un pays où la canicule est extrême en été, se laver au hammam, pratique traditionnelle féminine, croiser le regard d’autrui en face, se promener seule dans la rue (une femme doit être accompagnée) comme dans la vie, pousser un cri, chanter à pleine voix…. C’est le fait d’apparaître en face d’un autre, d’exister dans sa différence dans le monde et pour autrui, cet étrange droit que crée le simple fait d’être née ainsi, dans son genre, qui est criminalisé. Une boucle de cheveux, une voix mélodieuse, une silhouette ourlée dans le vent du dehors, etc. sont des crimes. Un isolement, dû à la tragique désaffiliation violente de tous les liens sociaux et affectifs hors de la famille, vient emmurer la présence des femmes chez elles, puisqu’effacées du dehors visible et sonore, comme la burqa emmure leur corps. Reste l’enfermement dans l’espace du dedans, et la maison enclavée devient puit. Elle est alors privée non seulement de sa liberté mais aussi du dehors, et donc de sa propre contemporanéité historique : séparée de l’actualité du vaste monde extérieur changeant et polymorphe où elle n’existe plus, elle stagne au fond du puit domestique, dans la clôture infernale des gestes répétés — espérons que la présence d’écrans privés et la résistance des solidarités clandestines déjouent le plus souvent possible cette exclusion.
Ces interdictions multiples impliquent plus qu’une mise au pas et un asservissement : dans ce pays, la domination politique des femmes se double d’une tentative d’anéantissement de leur identité de genre. L’intention est délibérée de faire disparaître l’humanité du féminin en supprimant ce féminin de l’humanité des hommes, de son monde immense, avec son aventure historique et politique, où il ne reste plus qu’un seul sexe. La mixité de l’espèce humaine est alors effacée de la normativité sociale de la rue, des bureaux et des boutiques, des images et des écrans, comme si les femmes n’avaient jamais existé.
L’impossible génocide sexuel
Un génocide peut être racial, (ethnique, national, social, religieux, ou tout autre critère) mais pas sexuel : exterminer physiquement l’un des deux sexes humains n’est pas possible à cause du fait de la sexualité humaine et du rôle des femmes dans la procréation. Il s’ensuit que la haine pourtant génocidaire des talibans contre les femmes ne peut s’assouvir complétement. Il leur faut, s’ils veulent continuer leur propre groupe masculiniste oriental et religieux, conserver, isoler et enfermer un troupeau minimal de mères porteuses. Nul besoin de camp de concentration, de ghetto isolé dans la ville – ce pour quoi le terme « apartheid de genre » ne nous semble pas pertinent : il suffit de les enfermer dans leur espace privé sous la garde des hommes de la famille, maison devenu prison, d’où leurs appels et leurs cris sont inaudibles parce qu’interdits. Quand les hommes de la famille sont encore des êtres humains, une résistance cachée, intime, une scolarisation clandestine et une respectueuse entraide pour les femmes et filles de la famille peuvent se mettre en place. Mais si même en France, les chiffres des féminicides sont élevés alors que ces crimes sont socialement condamnés, que se passe-t-il alors en Afghanistan, où les violences des hommes contre les femmes et les filles de la famille bénéficient d’une impunité systématique et quasi sacrée ? Les hausses conjuguées des suicides de femmes, de leur morbidité, de leur mortalité, des accidents à la naissance touchant les deux sexes et bien sûr des crimes contre elles de toute sortes (et contre les enfants des deux sexes) font apparaître la dimension criminelle de la politique à l’encontre des femmes dans ce pays. Il n’est pas besoin de gérer l’organisation de mises à mort de masse dans des camps spécifiques, même si toutes les enquêtes alarment les défenseurs des droits humains sur les prisons de femmes et leurs conditions de détention : l’accélération systémique de leurs décès reste confinée et gérée dans l’espace domestique, ainsi le pouvoir gynocideur n’a pas la tâche de solutionner la difficile question de faire disparaitre des millions de cadavres.
Le génocide des femmes étant impossible sans toucher le lien père-fils et donc sans mettre en péril la filiation des bourreaux eux-mêmes, il ne reste qu’à massacrer le féminin comme identité collective publique, sauf en tant que génitrice dans l’espace privé devenu geôle. Ce crime majeur contre la moitié de l’humanité est encore un crime encore sans nom. Le terme de « gynocide » (tuer le féminin[5]) plus exact que celui d’apartheid rend pensable la cruauté politique en cours et possible le combat du droit contre l’impunité de cette criminalité d’État spécifique.
À cet égard, les travaux d’Amartya Sen sont essentiels, ayant démontré que la surmortalité et la morbidité des femmes étaient liées à l’enfermement dans l’espace privé[6]. Pour les hommes, les sorties sont la règle non pensée, parce qu’elles vont de soi : leur masculinité sociale se définit par l’évidence de leur présence active dans l’espace public extérieur, et dans « la société », ouverte sur le présent du monde historique, désenclavée du dedans de la maison où les femmes seraient les « reines » et/ou les prisonnières. Le droit de sortir de l’espace privé est donc un droit de genre, dont l’immense crime des talibans oblige à prendre conscience : pour les femmes, être exclues du monde extérieur, de l’école et du travail salarié par exemple, est un risque qui non seulement les esclavagise et les prive de l’estime sociale d’elles-mêmes, mais qui est aussi une condition de leur survie. Le droit de sortir de la maison est, pour les femmes, une question de vie ou de mort.
Il faut donc allonger la liste des droits humains de la charte de l’Organisation des Nations unies en stipulant le droit inaliénable des femmes de sortir de leur espace privé et d’habiter en toute légitimité les espaces sociaux extérieurs, à égalité avec les hommes.
Véronique Nahoum-Grappe
[1] Winston Churchill, le 24 août 1941, concernant la violence des Einsatzgruppen : « L’agresseur se comporte avec une cruauté extraordinaire. Au fur et à mesure que les armées avancent, des districts entiers sont exterminés. Des dizaines de milliers d’exécutions – littéralement des dizaines de milliers – sont perpétrées par les unités de police allemandes. […] Nous sommes en présence d’un crime sans nom. » Cité par Olivier Beauvalet, « Lemkin, une œuvre en un mot : l’invention du génocide », Les Cahiers de la Justice, no 4, 2014/4, p. 544.
[2] Voir , au milieu d’une immense bibliographie internationale, l’ouvrage de Victor Klemperer, dont le journal tenu entre 1919 et 1945 est la source et qui est devenu la référence de toute réflexion sur le langage totalitaire : Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich [1947], trad. Elisabeth Guillot, préface de Johann Chapoutot, Paris, Albin Michel, coll. « Espaces libres », 2023. Voir aussi en France les ouvrages de Christian Ingrao, par ex. : Croire et détruire. Les intellectuels dans la machine de guerre SS [2010], Paris, Fayard, coll. « Pluriel », 2011.[3] Françoise Héritier, Masculin/Féminin. La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996 ; Masculin/Féminin II. Dissoudre la hiérarchie, Paris, Odile Jacob, 2002.
[3] Françoise Héritier, Masculin/Féminin. La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996 ; Masculin/Féminin II. Dissoudre la hiérarchie, Paris, Odile Jacob, 2002.
[4] Voir « La guerre des talibans contre les femmes. Le crime contre l’humanité de persécution sexiste en Afghanistan » [en ligne], Amnesty International/ International Commission of Jurists, septembre 2023 ; et rapport ONU Femmes 2023 ; « Deux ans après en Afghanistan : où en sont les droits des femmes sous les talibans ? » [en ligne], ONU Femmes France, 11 août 2023 ; et Benjamin Laurent, « Interdiction de parler : que contient la nouvelle loi anti-femmes des talibans ? » [en ligne], GEO, 6 septembre 2024.
[5] Terme employé par Antoinette Fouque pour désigner la forme de haine entrainant une criminalité globale et permanente contre les femmes : « Je ne me suis pas contentée, depuis trente ans, de recenser le catalogue du gynocide permanent qui se perpétue sur la planète. Je me suis efforcée d’en analyser les causes. Je pense qu’au fondement de cette haine envers les femmes, qui ravage l’espèce humaine, il y a l’envie primordiale, archaïque, universelle et radicalement déniée, de leur capacité procréatrice, de cette part spécifique qui, avec la gestation, leur échoit dans la production de l’espèce humaine. Cette envie, qui est la misogynie même, est la base de tout système d’exclusion de l’autre et la racine de tous les racismes, de toutes les exploitations. » (Si c’est une femme, in Il y a deux sexes. Essais de féminologie, édition revue et augmentée, Gallimard, 2004)
[6] Amartya Sen, « Pourquoi un déficit de plus de cent millions de femmes ? », trad. Marc-Olivier Padis, Esprit, septembre 1991 ; voir aussi Véronique Nahoum-Grappe, « L’espérance de vie des femmes selon Amartya Sen » [podcast en ligne], Esprit, septembre 2022.
Afghanistan : Radio Begum, la voix des résistantes
un reportage de Solène Chalvon-Fioriti
dispoible sur Arte.tv jusqu'au 18 mars 2027
Depuis le 15 août 2021, date à laquelle les Talibans ont repris l'Afghanistan, les Afghanes, réduites au silence, subissent un apartheid de genre unique au monde.
Les parcs, la mendicité, les sites touristiques, les sorties sans chaperon leur sont interdits. La spécialité de gynécologie, les salons de beauté, les voyages sont fermés aux Afghanes. La scolarité des jeunes filles après douze ans n'est plus possible - après 10 ans dans certaines régions.
Lorsque l’horizon se dessine de façon aussi terrible, les interstices de libertés se changent en puits de lumière d’où émerge Radio Begum : une radio éducative à l'adresse des millions de petites filles privées d'apprentissage. Ce média fait par des femmes pour des femmes, interdit aux hommes, diffuse chaque jour des programmes scolaires qui soutiennent le réseau des écoles clandestines dans le pays, autour de 15 000, toutes créés en secret, logées dans des salons familiaux, des caves et des grottes.
Bien qu’étroitement surveillée, la radio a échappé momentanément à la fermeture. Mais cet équilibre est aussi fragile que subtil : média de la voix et non de l’image, elle préserve l’anonymat des journalistes, leurs traits ne sont pas exposés comme ceux des présentatrices télévisées, sommées de démissionner les unes après les autres. Radio Begum n’enfreint donc pas encore la loi talibane. Et ses dizaines de femmes journalistes résistent à la longue nuit promise par leurs bourreaux.
Réalisé en secret, dans une dictature quasiment fermée aux caméras étrangères, ce reportage offre un accès inédit à la seule résistance qui perdure en Afghanistan : celle des femmes.