Le Japon nous a guidé dans notre travail sur Richard II (1981), Henry IV (1984), Tambours sur la digue (1999), et l'Île d'Or (2021).
Vous trouverez ici des documents sur les trois traditions japonaises qui nous ont nourris : le nô, le bunraku, et le kabuki.
Le cargo "Le Cambodge" arrivant à Yokohama © Photo collection Xavier Escallier | messageries-maritimes.org
J’ai apporté mon billet. Il s’agit de mon billet Marseille-Yokohama. Sur le cargo mixte Le Cambodge de la Compagnie des Messageries Maritimes. Départ le 30 avril 1963, du quai n°... c’est illisible. Première escale à Port Saïd, l’entrée du Canal de Suez. Oui, on prenait le Canal de Suez. Les trois grands lacs qu’il relie, étaient encore, à l’époque, parsemés des épaves de navires bombardés au cours de l’expédition colonialiste, catastrophique et idiote qu’avaient menée la France et la Grande-Bretagne, avec l’aide d’Israël, pour tenter de récupérer le Canal que Gamal Abdel Nasser avait eu l’audace de nationaliser au nom du peuple égyptien. Je traversais l’Histoire. Escale à Aden, puis Bombay. Le bateau entre dans le port. Une onde d’odeurs de mangue et de merde m’arrive du marché voisin. Le soleil se lève. Les corbeaux semblaient vouloir attaquer le bateau. Pour la première fois je mets le pied sur le sol indien. Je suis dans le mythe et la légende. Lors de cette escale, je ne verrai que la magnificence. La face sombre je la subirai au retour. Le grand amour avec ce pays continent je le vivrai plus tard.
Colombo. Singapour. Saigon, en pleine guerre du Vietnam. Hong-Kong, Kobe. Arrivée à Yokohama, le… Le billet ne promettait rien. Mais le trajet avait duré 30 jours, donc, nous sommes probablement arrivés le 1er juin 1963. Il pleut. C’est le déluge. Il pleuvra ainsi pendant deux mois. Oooh ! Comme j’ai détesté le Japon pendant ces deux mois !
Je ne parlais évidemment pas japonais. Et les Japonais, en 1963, chez eux, ne parlaient évidemment rien d’autre ! Même les signes, les mimiques qui me paraissaient les plus clairs, provoquaient des yeux ronds et un refus effrayé de tenter même de les comprendre ! Ooooh ! Comme j’ai détesté les Japonais pendant ces deux mois ! Et puis, une fée est apparue. Marcel Giuglaris, un journaliste français, parlant parfaitement le japonais, marié alors à une Japonaise — on disait en ce temps, de ce genre d’amoureux fins connaisseurs du Japon, qu’ils étaient tatamisés— Marcel est enfin revenu de Corée et m’a prise sous son aile, rassurée, orientée et, grâce à lui, j’ai commencé vraiment mon voyage dans ce pays dont la culture théâtrale et cinématographique allait devenir pour moi une initiation et une inspiration permanentes. Un de mes maîtres. Les autres seront l’Inde, Bali, Meyerhold, Jacques Copeau et, je m’en expliquerai plus tard, mes compagnes et compagnons de travail.
Oooooh ! Comme j’ai alors aimé le Japon et les Japonais, et cela pour toujours.
Extrait du discours d'Ariane Mnouchkine lors de la remise du Kyoto Prize le 11 novembre 2019 à Kyoto.