Le 24 août 1970, le Théâtre du Soleil investit les nefs de la Cartoucherie alors à l'abandon. Dès septembre, Le Conseil de Paris confie à la troupe trois locaux pour une durée de trois ans. le premier des trois halls (1600 m2) sert aux représentations publiques; le deuxième sera transformé en salle de répétitions, le troisième en atelier pour les décors, les costumes et la technique. C'est parce que l'existence de la troupe était suspendue à la recherche d'un lieu et que la compagnie a décidé de transformer elle-même ce local conçu initialement comme un simple lieu de répétitions, en local ouvert au public, pour les représentations. L'intérêt étant d'offrir un vaste espace vide qui ne peut imiter la technologie des salles transformables ou polyvalentes.
Extrait du texte-programme 1789, Théâtre ouvert/Stock
En 1871, l'atelier des poudres de la ville de Paris est détruit pendant la répression de la Commune : des mutins préférent se faire sauter avec 10 000 kilos de poudre et 400 000 cartouches plutôt que de se rendre. La détonation fait trembler toute la ville. Trois ans plus tard, il faut reconstruire des ateliers de poudres. C'est dans le bois de Vincennes que la Cartoucherie voit le jour. L'histoire militaire de la Cartoucherie est riche des grands événements qui ont secoué la France, l'Europe et le monde. Les charges explosives utilisées sur le front pendant la Grande Guerre sont créées ici*, mais c'est depuis
la Cartoucherie que l'on tire les cents coups de canon inaugurant l'exposition coloniale de 1931 au bois de Vincennes. Durant la guerre d'Algérie, elle est transformée en centre de rétention et l'armée n'en partira qu'à la fin des années 1960. Prostituées et " blousons noirs" squattent les lieux jusqu'à l'installation, à l'été 1970, du Théâtre du Soleil dirigé par Ariane Mnouchkine. La troupe réalise elle-même tous les travaux de réhabilitation de cet espace tombant en ruine. Remise sur pied, la Cartoucherie accueille quatre autres troupes entre 1971 et 1973. En 1985, des contrats de location sont établis et des travaux entrepris. L'aventure continue aujourd'hui dans ce chaleureux ensemble théâtral né d'une aventure collective.
L'Éléphant n°21, janvier 2018
*Pour aller plus loin : La Cartoucherie de Vincennes, de la poudre au Soleil
Au théâtre, il n’y a pas de génération spontanée. Que des hommes ou des femmes rêvent à leur théâtre, qu’ils le créent quand ils le peuvent n’est certes pas nouveau. La décentralisation théâtrale, qui préfigura le ministère de la Culture, devait permettre de rendre cohérente cette utopie de créateurs. L’institution y œuvra longtemps afin que se dessine un paysage de création. Mais des lieux se créent encore hors de ce maillage et parfois contre, mais toujours par nécessité. Comme hier quand Ariane Mnouchkine investissait la Cartoucherie parce qu’elle le dit elle-même : « Sans elle, je n’existerais plus ». C’était il y a cinquante cinq ans, une aventure singulière, qui l’est restée.
(Extrait de l'entretien avec Ariane Mnouchkine réalisé par François Campana et Anne Quentin en 2001.)
Photo Martine Franck / Magnum Photos
Photo Michèle Laurent
".../... C’était ce rêve poétique, politique, artistique, que la Cartoucherie allait nous permettre de vivre, nous le savions, lorsque, avec la complicité de Janine Alexandre-Debré et de Christian Dupavillon, nous l’envahîmes en août 1970.
Une friche inouïe, impériale, aussi bien cachée dans le bois de Vincennes qu’Angkor le fut pendant mille ans dans la jungle cambodgienne. Nous étions ses découvreurs, ses envahisseurs, ses libérateurs, ses métayers, c’est nous qui allions « la rendre meilleure », nous et ceux qui nous rejoindraient. Ce serait nous, les désobéissants disciplinés, qui ferions de ce lieu un palais des merveilles, un havre de théâtre et d’humanité, un laboratoire de théâtre populaire, un champ d’expérimentation et d’apprentissage à perdre haleine.
Un paradis du peuple. Nous en serions les serviteurs, jamais nous n’en deviendrions les rentiers exclusifs. Aucun ministère au monde ne pourrait nous dicter quoique ce soit d’autre que ce que nous considérons déjà comme notre devoir sacré : rendre heureux le plus grand nombre de gens possible. Aucun égoïsme corporatiste au monde ne nous ferait jamais jeter dehors, à peine la représentation terminée, le public qui nous aurait fait la gloire de vouloir vivre deux, ou quatre, ou dis heures avec nous, à la recherche duthéâtre c’est à dire à la recherche de l’humain (.../...) La Cartoucherie devait rester en friche, magnifique et douce au public, mais une friche, sans cesse en travail, jamais finie, ne ressemblant à rien d’autre, et qui, jamais, au grand jamais, ne prétendrait rivaliser avec certaines forteresses culturelles dont les productions parfois nous éblouissent, mais dont le mode de fonctionnement nous paraissait et nous paraît encore bien peu favorable au bonheur et au risque artistique.
Pour cela, pour ce voyage, pour cette épopée, cette conquête, pour ce combat, pour cette guerre, pour cette résistance, il nous fallait des amis bienveillants, nous en eûmes, il nous fallait aussi des alliés, une immense force alliée. Il nous fallait le public. Il débarqua. L’histoire commençait.
Ariane Mnouchkine (extrait), 2009
\La Cartoucherie, une aventure théâtrale (livre)
\Ariane Mnouchkine, l'aventure du Théâtre du Soleil (Film)
\Le Théâtre du Soleil, Les cinquante premières années (livre)
\De l'improvisation au rite : L'épopée de notre temps (livre)
\Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil (livre)