par Wang Keping, sculpteur
La Chaise vide de la Liberté au Théâtre du Soleil, juin 2020
Liu Xiaobo (1955-2017), poète et écrivain chinois, a été arrêté en 2008 puis condamné en 2009 à onze ans de réclusion pour avoir participé à la rédaction de la « Charte 08 » (manifeste publié le 10 décembre 2008 et signé par plus de 300 intellectuels et militants des droits de l’homme) en faveur de réformes constitutionnelles et de la protection des droits humains en Chine. Le Prix Nobel de la Paix lui est décerné en 2010, mais il ne fut pas autorisé à se rendre à Oslo pour le recevoir. Il restera dans la prison du Liaoning où il languira encore huit années avant d’y mourir le 13 juillet 2017. Avec cette œuvre qui représente la chaise vide devant laquelle fut délivré le Prix Nobel à Oslo en l’absence de son lauréat, le sculpteur Wang Keping honore la mémoire de Liu Xiaobo.
Depuis, les caractères 空椅子 (Kong yizi, « chaise vide ») sont censurés par le gouvernement chinois !
Une Chaise Vide pour que Liu Xiaobo soit toujours présent from Global Suburban.
La « Chaise vide pour la liberté, à la mémoire de Liu Xiaobo », a été présentée une première fois le 12 juillet 2018 à Paris, lors de la première commémoration de l’anniversaire de la mort de Liu Xiao Bo. Elle a aussi été présentée en février 2019, au sein de l’espace Yéhudi Menuhin du Parlement européen à Bruxelles, dans le cadre du Congrès Mondial contre la Peine de Mort, présidé par Robert Badinter.
Son installation dans l'enceinte de la Cartoucherie, au Théâtre du Soleil, sera inaugurée le vendredi 9 octobre 2020.
La Chaise vide de la Liberté au Parlement européenn à Bruxelles, février 2019
Chaise colossale de trois mètres de haut,
Tu nous toises de toute la magnificence de ta grandeur,
Pour nous sortir de notre torpeur, chaise vide, emblème de la terreur.
En 2010, Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix,
Évincé, Incarcéré, condamné à purger des peines de prison répétées,
Fondées sur l’interdiction de réclamer le droit au respect de l’humanité.
Liu Xiaobo, homme chinois fort de la situation, ulcéré,
Révolté de tant d’ignominies dont entre autres en 1989,
Le massacre de la place Tian an men, si contesté
Par ce gouvernement avide de sang.
Cette œuvre, la chaise vide du sculpteur Wang Keping te rend les honneurs,
Spoliés par un gouvernement de l’horreur.
Liu Xiaobo tu as fait table rase de cette sombre ineptie.
La vacuité́, contre-performance assoit ta légitimité
Emplit l’espace du penseur libre, la chaise vacille mais ne ploie pas.
Liu Xiaobo, tu es décédé́ le 13 juillet 2017, l’été́ dernier.
Ton ombre démesurée d’homme de cœur surplombe cette chaise d’envergure,
Trois cents kilos,
Prête à recevoir en fer de lance,
Toutes les victimes décimées et honorer leur mémoire.
Chaise vide, tu nous incites par ta caricaturale stature
À gravir les barreaux, escalader l’assise
Et nous tenir raide debout, au garde à vous
Pour exalter ensemble de toute la force de nos cages thoraciques,
Un air libérateur de l’intolérable et infernal opprobre,
Avoir été Citoyen du monde.
Que ton âme continue à rayonner sur tous les océans.
C. Freydefont, 2018
Manifestation pour la libération de Liu Xiaobo à Hong Kong en 2008 © CC BY-SA 3.0 / Wikipedia
Je n’ai pas d’ennemis
Sur le chemin de la vie dont j’ai parcouru la moitié, le mois de juin 1989 représente un tournant important. Avant cette date, ma vie universitaire s’était déroulée sans aucun problème. Après mon diplôme, j’étais devenu enseignant à l’Université normale de Pékin. Sur l’estrade, j’étais un professeur populaire parmi les étudiants, et, en même temps, un intellectuel public connu. Au cours des années 80, mes articles et mes livres eurent un grand impact, et je fus souvent convié à prendre la parole dans tout le pays. Je fus aussi professeur invité en Europe et en Amérique. Dans la vie comme dans l’écriture, je m’imposais le devoir suivant : je devais être sincère, responsable et digne. Mais en 1989, revenu des Etats Unis pour participer au mouvement démocratique, je fus emprisonné pour crime d’“incitation contre-révolutionnaire“, privé de l’estrade que j’adorais, du droit de publier et de faire des conférences en Chine. C’était une tragédie non seulement pour moi, mais aussi pour la Chine, entrée depuis déjà trente ans dans le processus de réforme et d’ouverture.
Vingt années ont passé, les âmes innocentes du 4 juin ne connaissent toujours pas le repos, et moi qui avait été conduit vers la dissidence par le 4 juin, dès ma sortie de la prison de Qincheng en 1991, je fus privé du droit de parler en public dans ma propre patrie. Je fus surveillé pendant toutes ces années, détenu à mon domicile de mai 1995 à janvier 1996, envoyé en rééducation par le travail d’octobre 1996 à octobre 1999, et aujourd’hui encore, je suis cloué sur le banc des accusés par cette habitude qu’a notre pays d’inventer des ennemis du pouvoir. Cependant, à ce pouvoir qui me prive de ma liberté, je veux encore dire que je persiste dans la conviction que j’avais affirmée il y a vingt ans lors de ma “déclaration de grève de la faim du 2 juin“ : « Je n’ai pas d’ennemis, je n’ai pas de haine. Ni les policiers qui m’ont surveillé et suivi, ni ceux qui m’ont arrêté et interrogé, ni le procureur qui m’a poursuivi, ni les juges qui m’ont condamné, ne sont mes ennemis. »
Parce que la haine peut éroder la sagesse et la conscience d’une personne parce que l’habitude de créer des ennemis partout peut empoisonner l’esprit d’une nation, fomenter des luttes à mort, détruire l’humanité, la tolérance d’une société et faire obstacle à la marche d’un pays vers la liberté et la démocratie, je souhaite être capable de transcender mon expérience personnelle pour envisager le développement du pays et les changements de la société, pour faire face, avec bienveillance, à l’inimitié du pouvoir et répondre à la haine par l’amour.
Chacun sait que ce sont les réformes et l’ouverture qui ont permis le développement de l’Etat et les changements de la société. Je pense qu’elles ont commencé lorsque l’on a abandonné les principes de “la lutte des classes comme axe“ de l’époque de Mao, pour se convertir au développement économique et à l’harmonie sociale. Le processus d’abandon de la “philosophie de lutte“ est également un processus d’atténuation progressive de la “mentalité d’ennemi“, de la psychologie de haine, qui avait empoisonné notre humanité. C’est bien ce processus qui a permis de créer un climat détendu à l’intérieur et à l’extérieur pour la réforme et l’ouverture, c’est lui qui a fourni les bases de douceur et d’humanité qui ont permis de rétablir l’amour entre les hommes et la coexistence entre valeurs et intérêts différents. Ce sont les encouragements humanistes qui ont permis le rétablissement de la compassion et l’explosion de la créativité.
Même dans le domaine politique où les progrès ont été les plus lents, cette atténuation de la “mentalité d’ennemi“ a conduit le pouvoir à montrer une tolérance chaque jour croissante à l’égard de la diversification de la société. Les persécutions à l’égard des opinions dissidentes ont nettement diminué, par exemple la qualification du mouvement de 1989 est passée d’“émeute et chaos“ à “tempête politique“. L’atténuation de la “mentalité d’ennemi“ a conduit le pouvoir à accepter le principe de l’universalité des droits de l’homme. En 1998, le gouvernement chinois a pris l’engagement, devant le monde, de signer les deux pactes des Nations Unies sur les droits de l’homme, montrant ainsi la reconnaissance par la Chine des critères universels de ces droits. En 2004, l’Assemblée populaire nationale a introduit dans la constitution un amendement stipulant que « l’Etat respecte et garantit les droits de l’homme », montrant que les droits de l’homme sont aujourd’hui devenus l’un des principes fondamentaux de l’Etat de droit en Chine.
En 1996, j’avais été à Banbutchiao, anciennement Beikan, et, par rapport à dix ans auparavant, on notait, au nouveau Beikan, une immense amélioration, tant dans les installations que dans la gestion. Notamment la gestion humaine y reposait sur le respect des droits des détenus et s’exprimait dans le comportement plus flexible et dans chacun des actes et chacune des paroles du personnel pénitentiaire. Elle s’incarnait dans les “émissions de réconfort“ de la radio interne, dans la revue Prendre conscience de ses erreurs et se repentir, dans la musique avant le repas, au réveil et au coucher ; cette gestion donnait aux détenus un sentiment de dignité et de chaleur ; elle leur faisait prendre conscience de la nécessité de maintenir leurs cellules propres et bien rangées, et de s’opposer à la tyrannie des chefs de cellule. Non seulement elle leur fournissait un cadre de vie humain, mais elle améliorait nettement leur état d’esprit et leur environnement pour la conduite de leurs affaires.
C’est justement en raison de cette expérience que je reste convaincu que les progrès politiques de la Chine ne sauraient s’arrêter, et que je suis empli d’optimisme quant à l’avènement d’une Chine libre. Car aucune force ne peut entraver le désir humain de liberté : la Chine deviendra un Etat de droit où les droits de l’homme règneront en maître. J’espère aussi que ces progrès s’appliqueront à mon procès, tandis que j’attends le verdict impartial que rendront mes juges – un verdict qui résistera au jugement de l’histoire.
Si l’on me permet de le dire, ma plus grande chance depuis vingt ans, c’est d’avoir pu jouir de l’amour totalement dépourvu d’égoïsme de mon épouse Liu Xia. Aujourd’hui, elle n’a pas pu venir assister au procès, mais je veux encore te dire, mon amour, que je sais que ton amour pour moi n’a pas changé. Au fil des années, dans ma vie privée de liberté, notre amour a subi l’amertume imposée par l’extérieur, mais, en y repensant, il est toujours sans limite. Je purge ma peine dans une prison réelle, tu attends dans la prison invisible du cœur ; ton amour est un rayon de soleil qui saute les hauts murs et s’infiltre à travers les barreaux pour caresser chaque centimètre de ma peau, réchauffer chacune de mes cellules ; il me permet de conserver une paix intérieure infinie, une ouverture et une grandeur d’âme, et emplit de sens chaque seconde que je passe en prison. Mon amour pour toi, assailli de culpabilité et de regrets, me fait parfois tituber sous son poids. Je suis un rocher dans ce monde sauvage, fouetté par un terrible orage, si froid qu’on ne peut le toucher. Mais mon amour est solide, aigu, il peut traverser tous les obstacles. Même si j’étais réduit en poussière, je t’embrasserais avec mes cendres.
Mon adorée, avec ton amour, j’affronterai imperturbable le procès à venir. Je ne regrette pas mes choix, et j’attends demain avec optimisme.
J’espère que je serai la dernière victime de l’incessante inquisition intellectuelle, et qu’après moi, nul ne sera incriminé pour ses paroles. La liberté d’expression est la base des droits de l’homme, le fondement de l’humanité, la mère de la vérité. Etrangler la liberté d’expression, c’est donc fouler aux pieds les droits de l’homme, étouffer l’humanité, supprimer la vérité.
Je ne me considère pas comme coupable, parce que je n’ai fait que mettre en oeuvre mon droit constitutionnel à la liberté d’expression, et que j’ai fait tout mon possible pour assumer mes responsabilités sociales en tant que citoyen chinois. Mais si je suis accusé pour cela, je ne m’en plaindrai pas.
Merci à tous.
Liu Xiaobo
Appel à la mobilisation pour la libération de LIU XIAOBO © Emmanouil ATHANASIOU
• Marie Holzman, Le Figaro, 8 octobre 2020
L’attribution du Nobel de la Paix à Liu Xiaobo avait suscité en Chine une vague d’espoir pour les habitants
• Brice Pedroletti, Le Monde 10 octobre 2020
Une « Chaise vide » en hommage à Liu Xiaobo à la Cartoucherie de Vincennes
• Laurence Defranoux, Libération, 9 octobre 2020
A Paris, une « Chaise vide » en hommage au poète Liu Xiaobo
© Archives Théâtre du Soleil
Réflexions émises durant les années 2005- 2006
Ce qui m’inquiète, c’est que les Occidentaux sont de nouveau en train de commettre une grave erreur aujourd’hui en ce qui concerne la Chine, le plus grand pays dictatorial du monde. La réalité dont les Occidentaux doivent se préoccuper en priorité est la suivante : le parti communiste dictatorial d’aujourd’hui entre dans un bras de fer avec le monde libre. Nous ne sommes plus du tout dans la situation d’antan par rapport au régime classique du totalitarisme soviétique. Le PCC ne se soucie plus strictement de défendre l’idéologie, ni la confrontation militaire ; il met l’accent sur le développement économique et ne se préoccupe plus trop de ses autres copains idéologues. Tout en réalisant la réforme de son marché, la Chine s’efforce de s’installer dans la mondialisation. Mais elle maintient son système politique de dictature, et s’oppose de toutes ses forces à une transition politique pacifique à l’occidentale.
Ne voyez-vous pas que le pouvoir du PCC fait trébucher ses poches pleines de sous pour s’engager dans une diplomatie du fric avec le monde entier ?
Elle est déjà devenue une machine à transfuser du sang vers les autres dictatures. Elle utilise les intérêts commerciaux pour briser les alliances occidentales, elle utilise le grand marché pour attirer et faire chanter les grandes entreprises.
Mais face à ce grand pays dictatorial qui s’élève rapidement, il faudrait poser des contraintes rigoureuses extérieures pour encadrer cette émergence. Si on continue à proposer des compromis pacifistes, on ne fera que repasser sur les traces du passé munichois, et le résultat ne sera pas seulement une catastrophe pour le peuple chinois, mais cela affectera aussi le processus de la mondialisation. Ainsi il faudrait empêcher l’émergence de cette dictature qui n’aura que des conséquences catastrophiques sur le monde civilisé, Il faut que le monde libre aide les plus grandes dictatures à se transformer le plus vite possible en pays démocratiques.
La vérité ?
Tout pouvoir despotique considère la vérité comme son ennemi, et non seulement il modifie, distord, occulte sa propre histoire selon sa propre volonté, mais il ne permet même pas de connaître la vérité historique sur les crimes dont il n’est pas responsable.
Les voyous populistes
Dans la Chine actuelle, le patriotisme est devenu, dans une certaine mesure, la source morale légitime à laquelle puisent les voyous de l’esprit pour se livrer à un massacre verbal et à la profanation de la dignité.
Sur la stratégie de jeter les dissidents hors de Chine
Dans sa répression des dissidents, le régime s’efforce d’éviter de créer des héros dotés d’une haute stature morale et d’une grande réputation à l’étranger. Il a compris qu’en forçant les dissidents connus à s’exiler, il fait d’une pierre deux coups : il leur laisse un moyen de reconstruire leur vie et se fait bien voir de la communauté internationale tout en éliminant des adversaires politiques directs, en même temps, il écorne leur image morale auprès de l’opinion chinoise. Il affaiblit ainsi le dynamisme, la capacité de mobilisation et la cohésion des forces d’opposition de la société.
L’échec du mouvement de défense des droits civiques
Bien que, ces dernières années, le mouvement de défense des droits civiques ait fait des progrès, il ne faut pas se cacher la dure réalité à laquelle il ne cesse de se heurter ; si un mouvement parti d’en bas pour gagner le respect de la dignité humaine et des droits n’est pas utilisé par les despotes perfides comme un instrument de prise du pouvoir pour créer une nouvelle dynastie, il est anéanti par l’appareil barbare de la dictature.
La honte
Vivre sous une dictature est une honte en soi, mais ressentir cette honte n’est pas suffisant, car ce n’est qu’en transformant la honte en véritable force que l’on peut mériter l’appellation d’être humain.
L’oubli de la morale sous Hu Jintao
Cet oubli est intimement lié à la stratification sociale dans la Chine contemporaine. Aujourd’hui, la primauté accordée à la morale et le consensus social des années 1980 a été totalement démantelée. Afin de résoudre la crise de légitimité à laquelle il était confronté, le Parti a élevé la stabilité politique au rang d’objectif ultime. Dans ce but, il n’a pas hésité à tout mettre en œuvre pour préserver une forte croissance économique, à acheter les élites de la société, à placer l’intérêt particulier au-dessus de tout et à polariser la société.