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Le théâtre Chhau | Milena Salvini

Origine communément retenue : chhaya, ombre ; chhauni, campement militaire.


Danses dramatiques masquées de l’est de l’Inde (provinces du Bihar et du Bengale occidental), datant peut-être du XVIIe siècle et marquées d’éléments martiaux ; les rôles féminins sont joués par des travestis.

Avec le Krisnanattam du Kérala (voir l’article sur le Kathakali), le chhau est l’un des rares spectacles traditionnels de l’Inde faisant usage de masques. Toutefois, il existe une forme de chhau non masqué à Mayurbhanj (Orissa), de tradition populaire et rituelle. Dans les différents cas, les représentations sont généralement données en plein air et de nuit ; le groupe orchestral est principalement composé d’instruments à vent et à percussion.

Les sources du chhau de la principauté de Séraïkella (sud du Bihar), remonteraient aux danses de cour des Rajpoutes, conquérants de cette région autrefois tribale. Fruit d’une longue tradition aristocratique teintée de classicisme, sa forme actuelle sophistiquée et élégante, l’esthétique raffinée des costumes et des masques, son répertoire sont en grande partie l’œuvre du maharaja A. Pratap Singh Déo (1885-1969) et de sa famille, en particulier de son jeune frère Bijoy, chorégraphe, avec le concours d’artistes et artisans-plasticiens qui bénéficièrent de leur patronage. L’étroitesse des masques impose à chaque pièce (le plus souvent solo ou duo), une durée excédant rarement une dizaine de minutes. Traités à la manière de mimodrames denses et concis, les thèmes empruntent à la mythologie et aux Puranas : Chandrabhaga (du nom de l’héroïne), Hara-Parvati (Shiva-Shakti), aux auteurs classiques : Meghaduta (le Nuage messager, de Kalidasa), et aux exercices martiaux (Parikhanda) pratiqués autrefois par les gardes royaux ; ils évoquent aussi la vie quotidienne et rurale, tels : Mayura (le Paon), Nabik(le Batelier), la nature : Sagar (l’Océan), Ratri (la Nuit), ou encore des états psychologiques : Marumaya (Mirage). Le chhau est associé chaque année aux fêtes rituelles du printemps (mi-avril), dédiées au dieu Shiva-Ardhanari (représentation androgyne). Les masques sont façonnés à partir de la glaise provenant du fleuve Kharkaï qui borde le domaine princier, moulés, puis finement sculptés. Leur style impersonnel, les mouvements fluides des danseurs contribuent à la beauté irréelle des tableaux. Les jeux de physionomie - navarasas -propres au théâtre classique sont ici suggérés par des attitudes corporelles d’intention équivalente que soulignent des orientations particulières du visage masqué.

Le chhau de Purulia (Bengale) est d’origine tribale et en a conservé les caractéristiques. Les villageois, des indigènes convertis à l’hindouisme au XVIIe siècle, dansaient autrefois en l’honneur des dieux domestiques et de la nature, identifiés par la suite aux dieux du panthéon hindou. Le chhau de Purulia ne bénéficia que tardivement, et indirectement, du patronage des chefs féodaux qui, encourageant l’artisanat des objets religieux - dont celui des masques -, favorisèrent l’éclosion d’un répertoire mythologique. Ramayana (partiel ou intégral), Mahabharata et Puranassont ici traités dans des versions locales dont les modes de présentation varient selon les villages. Résolument martial et vigoureux jusqu’à la violence, le chhau donne la primauté aux combats et séquences héroïques, voire tragiques, telles Abhimanyu Vadha(la Mort d’Abhimanyu). Les scènes sont toujours brèves et limitées aux moments décisifs. Quelques vers synthétisant l’action sont chantés a cappella en introduction. Les opposants bondissent, sautent en tournoyant ; leurs évolutions sont ponctuées des roulements fracassants des tambours de guerre. Le répertoire comporte aussi des morceaux de bravoure en solo : la danse du héros, du gentleman, du chasseur, du démon, de Kartikeya, le dieu de la Guerre, des extraits puraniques rarement donnés, tel Krishn’er Shesh Lila (la Dernière Danse de Krisna), des combats manichéens où interviennent les déesses justicières Durga (suivie de ses lions) et Kali, tel Mahishasura Vadha (l’Execution du démon-buffle). Le tableau final de ces dernières pièces reconstitue fidèlement, à la joie des spectateurs, l’imagerie populaire courante. Les masques, réalistes, sont faits de papier mâché et de glaise, peints et décorés ; couleurs et attributs complémentaires sont conformes aux traditions puraniques : celui de Kali est noir et rouge, celui de Krisna est bleu, ceux de Durga et de Shiva (dont la coiffe est auréolée de serpents) sont jaune-ocre. Certains masques de démons, rehaussés de crânes, sont assez volumineux, en particulier celui de Ravana avec ses dix têtes alignées horizontalement. Artisans-plasticiens, chanteurs et instrumentistes appartiennent respectivement à différentes ethnies. Le caractère rituel du chhau prévaut lors des fêtes du printemps dédiées ici au dieu du Soleil (associé à Shiva).

Milena Salvini