Pour la création d'Une chambre en Inde, les comédiens du Théâtre du Soleil se sont formés au Terukkuttu, auprès du maître P. K. Sambandan, et de son élève Palani Murugan, pendant huit mois.
Représentation de Terukkuttu dans le village de Mosavadi.,Tamil Nadu, Inde, mai 2015. © A. Mnouchkine
Kalaimamani P. K. Sambandan Thambiran et Palani Murugan pendant les répétitions d'Une chambre en Inde, Théâtre du Soleil, Cartoucherie, 2016. © Michèle Laurent
Le Terukkuttu est une forme traditionnelle de théâtre originaire du Tamil Nadu, un État du Sud de l’Inde. Très ancienne, cette forme reste vivante et populaire aujourd’hui, particulièrement dans les campagnes. Elle associe des chants, de la danse et des parties parlées. Chanteurs et acteurs-danseurs sont accompagnés par le petit harmonium indien, des tambours mridangam et dholak et un hautbois mukhaveenai. Les musiciens sont installés devant un petit rideau tendu au lointain, alors que la scène a été faite en terre battue par les villageois. Et tout au long de la nuit, on y raconte des histoires issues du Mahabharata et du Ramayana, les deux grands récits épiques indiens. Un meneur de jeu, le kattiyakaran, dirige la représentation, commente les événements et dialogue avec les personnages dans un style truculent. Les acteurs, aux hautes coiffes resplendissantes et aux costumes colorés, dialoguent et interpellent le kattiyakaran et le public. Aux histoires se mêlent des rituels qui reflètent les émotions, les valeurs, les coutumes des villageois de cette région de l’Inde. En retour le Terukkuttu devient l’expression d’une réalité telle qu’elle est ressentie et vécue par un peuple. Les représentations de Terukkuttu ont généralement lieu chaque année entre mars et juillet. Elles commencent dans la soirée pour se prolonger jusqu’au petit matin.
Kalaimamani P. K. Sambandan Thambiran, entouré de Koumarane Valavane et Ariane Mnouchkine, pendant les répétitions d'Une chambre en Inde, Théâtre du Soleil, Cartoucherie, 2016 © Michèle Laurent
Palani Murugan, Sébastien Brottet-Michel et Duccio Bellugi-Vannuccini pendant les répétitions de Terukkuttu pour Une chambre en Inde, Théâtre du Soleil, Cartoucherie, 2016 © Michèle Laurent
Que veut dire Terukkuttu ?
Terukkuttu est un terme général qui englobe toutes les variantes d’une forme de théâtre populaire pratiquée au nord de l’État du Tamil Nadu en Inde du sud. Elle raconte essentiellement les deux grandes épopées Le Mahabharata et Le Ramayana et quelques légendes locales dont les protagonistes sont les dieux du panthéon hindou et des personnages mythiques. Chaque année, un grand nombre de villages organisent des festivités religieuses à l’honneur de leur déesse protectrice, en particulier Draupadi (un personnage du Mahabharata). L’usage est alors d’inviter une troupe de Terukkuttu (semi-professionnelle ou composée des amateurs du village) pour représenter tout le Mahabharata (10 ou 18 nuits) ou seulement un épisode. Ces fêtes ont lieu entre mi-mars et mi-septembre. Certaines troupes professionnelles peuvent jouer jusqu’à 150 représentations par an.
Quelles sont les caractéristiques propres au Terukkuttu ?
Une représentation de Terukkuttu commence vers 10 heures du soir et se termine vers 6 heures du matin. C’est une véritable performance qui se compose de parties chantées, dansées et jouées sur un rythme très élevé. Le Terukkuttu utilise des costumes et des accessoires extrêmement élaborés et des instruments de musique propres (mukhavînâ, dholak, mridangam, talam, harmonium indien). Contrairement aux formes traditionnelles indiennes, il ne se réfère pas au traité de théâtre Natya-Shastra mais plutôt aux textes classiques tamouls. Il a ainsi sa propre manière de raconter les mythes en y incorporant une dimension ritualiste inspirée des croyances locales. Le Terukkuttu reste très ancré dans la vie des communautés car sa dramaturgie est très en phase avec les problématiques propres à un village. Par exemple l’épisode d’adieu entre Karna et sa femme Pounourouvi qui n’existe qu’en Terukkuttu met en avant les difficultés d’une femme veuve. L’histoire de Karna est aussi racontée dans la perspective d’une injustice faite à un homme de basse caste.
Pouvez-vous dire un mot sur ce personnage très particulier de Katyakaran ?
Dans cette optique, on comprend plus aisément le rôle spécifique du Katyakaran, véritable personnage de bouffon et représentant du peuple. Il est en charge du prologue, introduit les personnages principaux, dialogue avec les personnages, incarne les personnages secondaires, dialogue avec le public, parodie les personnages et en profite pour faire passer des messages (d’actualité locale, d’utilité publique, de prévention, d’éducation,...). Au fur et à mesure de son histoire, le Terukkuttu s’est approprié les spécificités des autres pratiques artistiques (théâtre de rue, cinéma, théâtre moderne).
D’où viennent sa vitalité et sa forme très dynamique ?
Les dramaturges du Terukkuttu n’ont jamais cessé d’écrire de nouveaux épisodes en se basant sur trois éléments : textes dialogués en prose libre, textes déclamés en vers, chants construits sur des ragas. Ce qui explique l’incroyable vitalité de cette forme de théâtre populaire. Mais cette capacité d’appropriation et sa certaine permissivité aux autres médias fait aussi son appauvrissement artistique lorsqu’elle tend à suivre les codes à succès du cinéma commercial tamoul.
Sébastien Brottet-Michel et P. K. Sambandan Thambiran pendant les répétitions d'Une chambre en Inde, Théâtre du Soleil, Cartoucherie, 2016. © Michèle Laurent
Kalaimamani P. K. Sambandan Thambiran (au centre), accompagné de Palani Muragan (à droite). Théâtre du Soleil, Cartoucherie, mai 2018 © Anne Lacombe
À lire : Kattaikkuttu, The Flexibility of a South Indian Theatre Tradition, Hanne M. de Bruin, ed. Egbert Forsten,1999.