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Le Gambuh

 

Histoire et singularité du Gambuh

Le Gambuh - archaïque et extrêmement stylisé, parfois rauque et d’une beauté majesteuse - est, dit-on, la plus ancienne forme de théâtre rituel à Bali, comparable au théâtre Nô du Japon et au Kathakali de l’Inde. On pense que sa musique, sa littérature et son vocabulaire de danse si particulier sont originaires de Java de la période Majapahit, à l’apogée de la culture classique des cours hindou-javanaises. Il est probablement le résultat de l’évolution d’une forme de danse javanaise nommée raket.

L’empire de Majapahit exerce une fascination mystique et profondément enracinée dans l’âme historique de Bali. Selon les dires des Balinais, l’histoire commence par la conquête de Majapahit au XIVème siècle, suivi de l’Age d’Or de Bali, que fut le XVIème siècle. Les Balinais pensent que la fine fleur de l’aristocratie hindou-javanaise aurait migré à Bali après la chute de l’empire de Majapahit, amenant un renouveau dans l’organisation théologique et politique de Bali. L’influence de la finesse des formes artistiques de cette période, qui sont étroitement liées aux pratiques religieuses, se fait encore sentir aujourd’hui : il suffit d’admirer l’étrange et complexe beauté du Gambuh, apparemment inchangé dans son essence pendant les 500 dernières années de son histoire, qui reflète encore l’atmosphère captivante et les figures des anciennes cours royales javanaises.

Pour le public occidental habitué à une délimitation précise entre la danse et le théâtre, le Gambuh confronte le spectateur à une forme de langage insolite. L’essence de cette forme artistique splendide n’est ni dans l’évolution d’une trame, ni dans la narration d’une histoire, mais dans la présentation successive de personnages, précédés et accompagnés de leurs serviteurs. Ces derniers traduisent les dialogues, formulés en javanais littéraire archaïque (nommé kawi), dans la langue vernaculaire comprise par les spectateurs balinais d’aujourd’hui.

Les personnages font leur entrée en dansant, accompagnés d’une musique subtile soulignée par un chœur de longues flûtes en bambou. Contrairement aux autres formes de danse balinaise, le danseur suit la musique. Les personnages nobles chantent en kawi, une langue que parfois les interprètes eux-même ne comprennent pas et qui, en accord avec la tradition orale, a été transmise à travers les âges par les prêtres et les érudits balinais. Cette langue a été fixée sur des lontar (manuscrits en feuille de palme).

Ainsi les vieux spectateurs balinais sont généralement assez familiers avec certains, voire tous les personnages. De même le sont-ils avec les histoires présentées sous cette forme de spectacle dansé, une des plus anciennes formes artistiques balinaises, conduite par une musique unique.

Le spectateur étranger, lui, admire la beauté de la danse et des danseurs, revêtus de costumes splendides, et peut se laisser emporter avec enchantement par les obsédantes mélodies archaïques jouées par l’orchestre situé sur le côté de la scène ou kalangan. L’espace scénique est toujours restreint et le décor, minimaliste, consiste en une simple porte de temple par laquelle le danseur entre et sort de scène. Cela est dû au fait que le Gambuh, généralement présenté lors de fêtes de temple, est joué dans ou à proximité du temple. Le décor est parfois enrichi d’une pergola de feuilles de palme tressées, de bannières et de parasols de cérémonie dorés encadrant la porte.

Certains spectateurs balinais peuvent éclater de rire et se réjouir des traits d’esprit et des boutades des serviteurs, qui traduisent ou paraphrasent la poésie et la prose du kawi. D’autres, se contentent en revanche de ne reconnaître que quelques personnages, car ils manquent d’une véritable connaissance historique. C’est une expérience mémorable, et même un néophyte peut apprécier la beauté et l’art de ce trésor vivant. Le Gambuh réactualise le passé lointain de Bali.

L’occupation néerlandaise de Bali s’est étendue sur plusieurs décennies qui ont été marquées par de violents épisodes, de 1846 jusqu’au milieu du XXème siècle. Quand le dernier et le plus exalté des royaumes tombe en 1908, l’éclat des cours royales disparaît aux yeux de la population balinaise. En conséquence, le Gambuh perd de sa popularité et les représentations se raréfient. Aujourd’hui le Gambuh, vestige du patronage royal, survit uniquement dans quelques villages. Chaque village se distingue par un style particulier, tels les Gambuh de Batuan (Gianyar), de Pedungan (Badung), de Padang Aji (Karangasem) et d’Anturan (Buleleng).

 

Le texte du Gambuh et ses personnages

Le texte des représentations de Gambuh (ou lelampahan comme on le nomme à Bali) est généralement tiré du Malat : une série de récits d’aventures qui racontent l’histoire du prince Panji, héros mythique, et de sa bien-aimée, la princesse Rangkésari. Panji, en éternelle recherche de Rangkésari, symbolise la quête spirituelle pour l’unité entre le masculin et le féminin de l’âme qui marque toute l’histoire de l’Asie et que l’on retrouve dans plusieurs légendes et mythes.

Toutefois, ce n’est pas l’histoire elle-même qui importe dans le Gambuh, mais les très formelles et longues entrées des personnages. Les personnages se caractérisent par le costume, le maquillage, la voix, la musique et la chorégraphie, qui sont très élaborés et spécifiques à chacun. Ce sont ces entrées qui constituent le corps du long spectacle et la maîtrise de leur exécution qui est le cœur du Gambuh.

Le Gambuh est une forme de théâtre total dont la danse est accompagnée par le chant et par un dialogue stylisé. Les chorégraphies ainsi que la musique et la littérature du Gambuh sont très détaillées et codifiées. Les personnages raffinés ou manis se distinguent par des mouvements lents, retenus et élégants, et par leur voix aiguë. Les personnages keras, énergiques, rudes évoluent avec des mouvements larges et vigoureux en projetant des voix gutturales. Les serviteurs, qui reflètent la nature de leur maître ou de leur maîtresse, les précèdent toujours dans leurs entrées. L’immuabilité de ces séquences formelles souligne l’ambiance précieuse et fastueuse du Gambuh.

Les personnages du Gambuh sont des archétypes. Toute princesse de tout épisode est toujours "La Princesse" ou "Raja putri", et dans n’importe quel épisode elle porte la même coiffe et le même costume, ses mouvements et sa chorégraphie sont toujours les mêmes et elle est toujours accompagnée par la même musique.

 

Les personnages principaux :

CONDONG : la dame de compagnie et confidente de la princesse est toujours la première à entrer en scène, seule. Elle est d’une nature ferme et explicite et s’exprime d’une voix aiguë. Comme pour les serviteurs du roi, le rôle de la Condong requiert une connaissance littéraire et une maîtrise de la voix car elle doit traduire, du kawi en langue balinaise, les dialogues de la princesse. La Condong annonce la venue des Kakan-kakan.

KAKAN-KAKAN : les quatre demoiselles de compagnie de la princesse : Ken Bayan, Ken Sangit, Ken Pasiran et Ken Pangunengan.

RAJA PUTRI : la princesse, apogée d’élégance et de grâce.

KADEAN-KADEAN : les quatres hérauts du roi raffiné. Ils annoncent Panji ou tous les rois alliés de Panji. Ils sont du type fort, courageux. Leurs mouvements sont vigoureux et leurs voix graves.

PANJI : le héros, quintessance du raffinement. Il chante d’une voix aiguë et aristrocatique, néanmoins il est un valeureux guerrier et un amant passionné des femmes.

SEMAR : le serviteur intelligent, fin et plein d’entrain de Panji. Il traduit le dialogue du roi dans la langue balinaise vernaculaire.

PRABU MANIS : le roi raffiné.

RANGGA : le patih raffiné, aide de camp et conseiller du roi.

DEMANG et TUMENGGUNG : le chambellan et le commandant en chef du roi énergique et rude. Ils sont forts, bourrus et parfois comiques.

ARYA : les quatre hérauts du roi énergique et rude. Ils sont des guerriers vigoureux.

PRABU KERAS : le roi énergique et rude qui est souvent l’ennemi de Panji.

TOGOG : le serviteur du Prabu Keras. Il traduit le dialogue du roi dans la langue balinaise vernaculaire.

AUTRES PERSONNAGES : il y a d’autres personnages importants qui apparaissent selon l’épisode, comme le Raja Melayu, le Raja Lasem, Prabangsa, Potet, et d’autres encore.

 

La musique du Gambuh

Le gamelan (orchestre) Gambuh est formé d’un ensemble de tambours, de gongs, de cloches et de flûtes. Le Gambuh existait bien avant l’apparition des gamelancaractérisés par des métallophones en bronze. La structure rythmique des tambours, les gammes et la structure musicale du Gambuh constituent la base de presque toute la musique balinaise.

Les instruments de l’orchestre du Gambuh se subdivisent en trois catégories : mélodique, structurelle et rythmique. Le gamelan Gambuh se base sur la gamme pelogqui est composée de sept notes à intervalles irréguliers, dont cinq principales. Dans cette tonalité particulière il y a plusieurs modes : selisir, lebeng, baro, tembung et sunaren. Au centre de l’orchestre se trouvent un ou deux juru tandak (chanteurs) qui entonnent des vers en kawi.

La mélodie est soutenue par un chœur de grandes flûtes ( suling ) de bambou, longues de presque un mètre et par un luth à deux cordes joué à l’archet, appelé rebab . La structure rythmique est marquée par une variété de gongs. Le kempur , un gong suspendu de taille moyenne, ponctue la fin du cycle ou de la phrase musicale. Le kajar, un petit gong, marque le temps, tandis que le kelenang , un petit gong brillant, le kenyir , un métallophone à trois lames, et le gumanak , petit cylindre de cuivre, ajoutent des ornementations et complètent la trame musicale. Les kendang , tambours à deux peaux, sont des instruments rythmiques qui dirigent l’orchestre et contrôlent le rythme et le tempo. Des cymbales, appelées kangsi et rincik , ajoutent au rythme leurs syncopes. Le gentorag (un arbre de clochettes) vient y apporter ses variations.

Diana Darling , Rana Helmi , Kunang Helmi