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Et quand les dieux descendent sur la terre on boit le tchaï

Et toi, dis, le kathakali, t’as commencé comment ?

Le kathakali : un art indien ancestral ; la genèse du théâtre. Un art difficile, exigeant et sublime. Un mélange de théâtre et de danse racontant la vie des dieux et celle des démons. Tantôt drôle, tantôt triste ou terrifiant, le kathakali est une forme d’expression surprenante. Un art pratiqué depuis des générations exclusivement par les hommes. En effet, les frappes des pieds au sol, les pas marquant la mesure, sont vigoureux ; le rythme est soutenu, tout le corps travaille durant des heures en forte tension. Le kathakali est un art martial également. Une discipline du corps et de l’esprit, une compréhension du monde, de ses lois, de ses secrets, de ceux de l’homme à ceux de la nature ; en passant par la complexité des sentiments et des émotions. Les danseurs de kathakali travaillent avec un maître pendant des années, des heures de travail, de répétitions, des entraînements qui débutent à l’aube et se prolongent tard dans la nuit. Le résultat est saisissant. Des nuits entières de représentations, les danseurs défiant la fatigue, vêtus de majestueux costumes, d’immense coiffes et collerettes, et arborant des maquillages colorés accentuant leurs yeux et leur bouche.

Quatre femmes occidentales, qui n’ont jamais travaillé ensemble, se retrouvent. Elles ont en commun cet amour du kathakali, des années d’apprentissages, des séjours plus ou moins longs en Inde il y a de cela plusieurs années. Leur rencontre est magique, comme une connexion immédiate. Sur les quatre d’entre-elles, trois ont étudié cet art ancestral dans la même école en Inde au Kérala.

C’est au centre Mandapa qu’une majorité d’entre-elles ont débuté leurs premiers pas de cette danse, certaines ont travaillé avec le même maître ; c’est donc tout naturellement au centre Mandapa que ces dames décident de créer ensemble un spectacle sur leur "vie kathakali".

Un récit à quatre voix, des anecdotes de voyage, une transmission d’une aventure au travers des routes, des pays, des cultures... Un voyage à travers le monde qui prend tout son sens. Nous sommes dans les années 1970-80, Annie, Catherine, Edith et Nathalie sont de jeunes femmes d’une vingtaine d’années curieuses de découvrir le monde et ses merveilles, de comprendre l’être humain et son histoire, de faire du théâtre... Chacune découvre le kathakali à sa manière, mais l’émerveillement est toujours très intense, comme une révélation. S’ensuit un besoin vitale d’en découvrir plus, d’éprouver cet art et d’y plonger en son cœur. Elles ont eu besoin de partir à des milliers de kilomètres pour apprendre avec des maîtres, plus ou moins sévères, un art qui fait partie des fondements de notre histoire humaine. Elles se souviennent la route, les odeurs, les bruits, le réveil à l’aube, les premiers pas et les difficultés, les entraînements sans relâche... Elles nous livrent une partie de leur vie dans un voyage qui les transforma. Elles livrent également une époque, un temps où une jeune femme seule pouvait partir en voyage à travers l’Orient pour rejoindre l’Asie, un sac à dos comme unique bagage, et revenir quelques années plus tard en France, transformée. Une époque aujourd’hui révolue, certains pays n’étant plus libres d’accès.

Les années ont passé, elles dansent toujours. Les pieds frappent le sol ; les mains virevoltent et enchaînent les mudras (positions codifiées et symboliques des mains de la danseuse) ; les sourcils frémissent ; les bouches font la moue... Ces danseuses n’ont rien perdu de leur superbe. Tout leur corps parle (le kathakali utilise toutes les parties du corps dans des symboliques précises). Elles donnent de la voix aussi et chantent, s’accompagnent des instruments traditionnels, nous racontent les histoires des dieux et des démons.

Bien plus qu’un spectacle traditionnel de kathakali, elles nous expliquent tous ses rouages, les personnages, les grands maîtres, les histoires... Elles n’arborent pas les imposants et somptueux costumes traditionnels, elles sont en tenue de travail training aux couleurs chatoyantes, les yeux humblement soulignés de khôl ; elles conversent avec le public tout simplement. Elles nous touchent, nous impressionnent, nous font rire et nous font rêver ! Quatre femmes, quatre danseuses exceptionnelles qui, après des années de carrière, se replongent dans leurs premiers émois de leur rencontre avec le kathakali. Une transmission vibrante.

Cyriel Tardivel, 10 juin 2016
Article paru sur le site La Théâtrothèque.com à l'occasion de la représentation de "Et quand les dieux descendent sur la terre on boit le tchaï " donnée au centre Mandapa par The Kathakali Girls Quartet
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