Tribune parue dans Le Monde.fr le 27 septembre 2023
Alors que, un ancien président de la République française nous incite à pactiser avec Vladimir Poutine (présumé responsable de crimes de guerre par la Cour Pénale Internationale et sous le coup d’un mandat d’arrêt pour déportation illégale de milliers d’enfants ukrainiens), nous poussant, ce faisant, à pratiquer ce que notre Code pénal qualifie d’intelligence avec l’ennemi, crime puni de trente ans de prison,
Alors que, le pape exhorte de jeunes Russes à retrouver la “Grande”, et “Sainte” “Mère Russie”, “celle de Catherine II”, devenant ainsi le propagandiste de l’exact programme de Vladimir Poutine,
Alors que, la leader actuelle de l’extrême droite française, ancienne et future candidate à la fonction suprême, préconise, par “principe de réalité (…) de se rapprocher du président russe pour ne pas aggraver la guerre” et parce que la Russie “ne va pas déménager”,
Alors que, après avoir furieusement milité pour le refus d’envoi d’armes à l’Ukraine, préconisant ainsi une politique de non-assistance à démocratie en danger, le leader auto-proclamé et manipulateur de la gauche française, multiplie maintenant les déclarations ondoyantes évoquant l’obligation de “ramener Poutine à la table des négociations (…) sans que l’Ukraine perde la guerre”, mais ne veut toujours pas admettre que, face à un tel adversaire, pour ne pas perdre la guerre, l’Ukraine doit la gagner. Et qu’elle ne peut le faire qu’avec l’aide qu’il veut justement qu’on lui refuse,
Alors que le tant espéré président du tant aimé Brésil se range sans équivoque au côté de Poutine,
Alors que des intellectuels de tous bords, prophétisant la défaite inéluctable de l’Ukraine, nous appellent à devenir enfin raisonnables en renonçant à une cause perdue d’avance. Une défaite, disent-ils, d’autant plus inéluctable qu’ils nous prédisent la victoire certaine de Donald Trump l’année prochaine, aux États-Unis,
Alors que des journalistes ne cessent de spéculer sur la lassitude des opinions publiques et l’opposition au soutien de l’Ukraine qui deviendrait, sans aucun doute selon eux, majoritaire cet hiver,
Alors que cette sinistre petite musique défaitiste, magistralement orchestrée par Moscou et ses valets apeurés ou économiquement intéressés, risque de virer aux vociférations paniquardes capables de noyer toutes les expressions de raison et de juste résistance et d’affoler les opinions jusqu’à les faire marcher au pas de la Grande Russie,
Alors que, Vladimir Poutine, ayant porté sa guerre jusqu’au cœur de l’Europe, use de tout le pouvoir de nuisance propre à une tyrannie pour détruire les fondements de notre vie sociale et démocratique et que le chaos malfaisant et ruineux que, partout dans le monde, il exporte de mille manières, handicape dramatiquement le travail immense qui nous attend depuis trop longtemps : lutter efficacement contre le réchauffement climatique et ses désastres, accélérer le progrès social, s’opposer à la misère et l’obscurantisme et œuvrer pour la désescalade nucléaire et la paix, partout dans le monde,
Nous, citoyennes et citoyens, adjurons le Président de la République et son gouvernement de maintenir et renforcer la position qu’après tant de tergiversations ils ont enfin adoptée : un soutien sans faille, grandissant et rapide à l’Ukraine tant que celle-ci n’aura pas vu la dernière botte du dernier soldat russe quitter son territoire. Il faut pour cela que l’Ukraine reçoive enfin toutes les armes demandées, chars, missiles à longue portée, avions indispensables à sa victoire. Vite. Elle ne doit plus continuer à se battre, une main liée dans le dos et son ciel désarmé.
Nous adjurons le Président de la République et son gouvernement de prendre dès aujourd’hui les mesures nécessaires pour que l’effort de guerre, bien expliqué à tous, ne pèse pas, cet hiver, sur les plus fragiles des Français, mais que les mieux lotis d’entre nous soient fermement appelés à faire les sacrifices nécessaires pour, de façon déterminante, aider l’Ukraine à chasser l’envahisseur russe de son territoire. Envahisseur qui n’a d’autre dessein depuis vingt ans, que de recoloniser à coups de canons un empire tyrannique et, pour cela, soutenir les pires régimes de la planète, en Syrie, en Birmanie, en Iran, en Afghanistan, en Corée du Nord, en Afrique, etc., et détruire les démocraties qui veulent s’y opposer, c’est-à-dire d’abord l’Europe. L’Europe dont l’Ukraine est actuellement l’héroïque rempart et dont elle défend non seulement les principes, mais aussi les intérêts et la sécurité future.
Quant à nous, citoyennes et citoyens, que sommes-nous donc devenus pour penser que toute action de notre part est inutile ? Comment pouvons-nous laisser commettre cette agression sur le sol européen, sur notre sol, sans manifester dans nos rues notre indignation et nos exigences comme les citoyens américains et nous-même l’avons fait contre la guerre du Viêt Nam, rejoints par presque toute l’humanité, il y a tout juste un demi-siècle ? Sans parler, pour les plus âgés d’entre nous, des immenses cortèges et des actions innombrables contre la guerre d’Algérie.
Sommes-nous voués à suivre, les bras ballants, à la télévision ou sur les réseaux sociaux, les bombardements, les massacres, les horreurs de Marioupol, de Boutcha, les combats, les sacrifices inimaginables, les héros et les morts de la contre-offensive ? Ne sommes-nous devenus bons qu’à être des spectateurs désolés mais immobiles ?
Non ! Nous pouvons agir, nous devons agir, renforcer le courage des opinions publiques et, par nos manifestations, stimuler celui de notre gouvernement et des gouvernements alliés, dont la pusillanimité a coûté, et coûte encore, chaque semaine, des milliers de vies civiles et militaires à l’Ukraine.
Ne trahissons pas l’Ukraine ! Ne nous trahissons pas nous-même !
Nous en appelons à tous les citoyennes et citoyens de France et d’Europe, nous en appelons à toutes les associations pro-ukrainiennes qui agissent déjà et à toutes celles qui, progressistes, défendent d’autres causes mais ne demandent qu’à agir ou agissent déjà en soutien à l’Ukraine, pour leur proposer de rassembler nos forces et d’organiser une mobilisation afin de ne pas laisser la rue, les médias et les réseaux sociaux aux seuls complices, conscients ou inconscients, du régime de Moscou. Pour cela, un seul mot d’ordre :
Russie, hors d’Ukraine !
Liste des premiers signataires
Ariane Mnouchkine, metteuse en scène
Hélène Cixous, écrivaine
André Markowicz, poète, traducteur, éditeur
Françoise Morvan, éditrice, traductrice, dramaturge
Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue
Galia Ackerman, historienne, directrice de la rédaction de Desk Russie
Bendak, dessinateur de presse
Sonia Wieder-Atherton, violoncelliste
Bruno Meunier, chef d’entreprise
Cécile Vaissié, professeure des universités
Marcel Bozonnet, comédien
Xavier Tytelman, consultant défense, youtubeur
Ella Pratsovyta, présidente de l'association Agir Ensemble Pour l'Ukraine