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En Inde, le procès d'un militaire déchu le mène à l'asile. Par un ancien élève de Mnouchkine, une farce tragi-comique où rôdent Brecht et Shakespeare.
Faire du théâtre à l'occidentale sans trahir la riche tradition de son pays, voilà le pari que tient à Pondichéry depuis 2007 l'auteur-metteur en scène d'origine tamoule Koumarane Valavane, dans son Théâtre Indianostrum. Ancien stagiaire au Théâtre du Soleil, il avait ensuite accueilli Ariane Mnouchkine dans sa propre salle - cette dernière s'en est inspirée en 2016 pour le décor d'Une chambre en Inde. Et voilà, en retour, la metteuse en scène qui soutient la nouvelle création de Valavane présentée pour la première fois en France, fin septembre, aux Franco phonies de Limoges.
Empruntant au Mahabharata, cette épopée de la mythologie hindoue, le personnage de Yudhisthira, si obsédé par la vérité qu'il tombe de son char volant le jour où il ment, Flying chariot(s) raconte une histoire inverse. Celle d'Ajay, ancien pilote de l'armée indienne dépossédé de son statut. Il a pris part à « une mission de pacification » au Sri Lanka dans les années 1990, pendant que la guerre civile y faisait rage entre les Tamouls et le gouverne ment. Conscient, soudain, que l'hôpital qu'il a bombardé n'abritait que des malades et des médecins, il dévoile sa découverte à la presse. La pièce démarre par son procès en cour martiale qui l'envoie aussitôt dans un asile de fous. Sur cette trame historique et politique – des images de la guerre sont projetées sur scène au milieu du spectacle –, le dramaturge a réussi à broder une farce tragi-comique. On y voit, par un système astucieux de retours en arrière, comment s'est construite la psyché du militaire déchu, de son enfance bercée par une mère aimante transmettant la tradition culturelle de son pays à sa vocation, en passant par ses premières amours.
Le nerf théâtral est ici stimulé chez les cinq fougueux comédiens par des décors simples – aussitôt apportés, aussitôt enlevés –, et l'influence mnouchkinienne n'est pas loin. Une fois le pli pris au rythme d'une musique instrumentale subtile, les tableaux se renouvellent, passant d'une scène d'intimité au carré réduit de l'asile où le héros partage sa vie avec Shankar, personnage fantasque tournant en boucle dans ses propres rituels, joué admirablement par la comédienne Maya S. Krishnan. Cette « tragi-comédie de la droiture » mêle le grave à l'absurde et cite avec humour Brecht et Shakespeare, sans renoncer à sa quête originale : comment tenir au mieux le malheur à distance.
Télérama, Emmanuelle Bouchez, 13 octobre 2021