Faire un dossier. Il faut faire un dossier. Prétendre savoir avant de rien savoir. Prédire aveuglément.
Se tromper forcément et donc tromper encore plus.
Même si elle est légitime, parfois, l’exigence d’un dossier sur une œuvre théâtrale, ou littéraire, est une tacite incitation à la vantardise sinon au mensonge. On nous demande de paralyser une vision encore vaporeuse et lointaine. De figer en statues de sel des ombres humaines qui vivent en nous et qui, soudain, nous échappent avant de réapparaitre sous de nouveaux noms avec de nouveaux visages, naufragés devenus naufrageurs ou le contraire.
Quel dossier pourrais-je produire sur un tel phénomène autre que l’œuvre elle-même.
Une île, c’est-à-dire, au théâtre, le monde. Voilà déjà ce dont je suis sûre.
Au Japon, c’est-à-dire, au théâtre, la forme. Les formes. Voilà aussi ce dont je suis sûre.
Un navire, un magnifique yacht, chargé des élites dirigeantes et influençantes de l’Univers. Politiques, scientifiques, artistiques. Réunis là par les hasards des Jeux Olympiques de Tokyo et l’hospitalité, intéressée ou pas, du riche propriétaire du bateau. Un philantrope ou un salaud, je ne sais pas encore. Et dans les ponts inférieurs, tout en bas, les marins, les mécanos, les servantes et serviteurs, philippins, sri-lankais, vénésuéliens, russes… Tranchez le bateau en deux et vous aurez une coupe parfaite de notre société.
Une avarie. Un monde accoste l’autre. Voilà, ce dont je suis à peu près sûre.
Est-ce un échouement ou un abordage ? Est-ce une catastrophe? Une bénédiction?
Et pour qui ?
Je ne sais pas encore…
Ariane Mnouchkine, 10 janvier 2020