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Approche de 1793

Si nous ne faisions pas 1793, nous infirmerions terriblement 1789 qui n’est qu’une première partie. Ce n’est pas un spectacle dans son entier. Il doit être continué par cette extraordinaire expérience qui a suivi. Nous voulons informer sur ce simple fait que l’Histoire de France enseignée a étouffé : dire à quel point, dans les assemblées de quartier, le peuple parisien a été loin dans sa conception du pouvoir, dans ce qu’il a voulu faire de sa souveraineté découverte et gagnée grâce au 10 août et à la chute de la royauté. Si nous réussissons 1793, il devrait y avoir des moments de véritable science-fiction. Parfois, l’histoire a « dérapé » dans le bon sens du mot : tout à coup, on a pu non seulement rêver mais réaliser certains rêves, durant quelques mois.
 
            Dans 1789, Babeuf n’était pas, en vérité, amalgamé au spectacle : il y avait seulement une citation, importante certes, de lui, qui avait été mise en exergue. Il se trouve que son texte avait à voir directement avec ce que nous pensions dire dans le spectacle. Mais l’action de Babeuf a été plus tardive que la période que nous abordons, et par ailleurs, elle a été sur le moment terriblement séparée du peuple. Or, nous tenons absolument à monter l’Histoire vue par le peuple.
 
            Il s’agit avant tout d’arriver à comprendre pourquoi tous les grands hommes de la Révolution française n’ont pas réussi à maintenir le cap vers la révolution et, l’un après l’autre, l’ont arrêtée. Il faut essayer de comprendre en ce qui concerne, par exemple, Robespierre, quand et pourquoi il s’est trompé. Et répondre également à la question : pouvait-il faire autrement que de se tromper ?
 
            Le cas de Robespierre est un des problèmes majeurs que nous avons à aborder, mais ce n’est pas le seul. Sa présence politique, sa pensée seront tout le temps dans le spectacle, mais lui, en tant que personnage, n’y apparaîtra jamais. Ce sont les sans-culottes, les hommes et les femmes qui, dans les sections, dans les assemblées de quartier, ont vraiment fait la Révolution, qui sont le spectacle.
 
            Nous n’avons pas choisi de faire un spectacle sur une philosophie, mais sur la matérialisation de cette philosophie. Ce qui est beau dans cette période, c’est qu’on se rend compte des limites de la pensée humaine, à chaque instant, c’est-à-dire qu’un penseur, un meneur, un sans-culotte, mercier, savetier… vont jusqu’à leur extrême limite. Ils ne peuvent ni penser, ni agir plus loin, puis en vient un autre qui, lui aussi, va jusqu’à son extrême limite. De ce point de vue, c’est une période étonnamment optimiste, chaque fois qu’une pensée, qu’un acte, qu’un homme tombe à terre, soit qu’il meurt, soit qu’il se trompe, soit même qu’il trahisse, sa pensée et son action sont reprises.
 
            Dans 1793, ce seront, non plus les acteurs du Théâtre du Soleil qui jouent le rôle de bateleurs qui racontent la Révolution, mais les acteurs qui joueront le rôle de sectionnaires, de sans-culottes qui se racontent la Révolution.
 
            Nous avons terminé 1789 sur le massacre du Champ-de-Mars qui est un arrêt provisoire, mais un arrêt quand même de la Révolution ; et le 9 thermidor, c’est un arrêt, non pas définitif, mais en tout cas pour une cinquantaine d’années. Nous ne voulons pas faire de ce spectacle une tragédie totale, c’est-à-dire une tragédie sans ouverture, sans espérance. Finalement, la fin du spectacle sera le premier coup porté par Robespierre à la section, le 9 septembre 1793.
 
            1789 était un spectacle de source médiévale, et que nous voulions tel, parce qu’il parle de la fin du Moyen Âge, 1793 devrait être un spectacle contemporain, parce qu’il parle vraiment des débuts de notre société.
 
Approches de 1793.
Extraits d’entretiens d’Ariane Mnouchkine
avec Lucien Attoun, avant et durant les répétitions.
© Théâtre ouvert, Stock 1972